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Cônes et bâtonnets de la rétine humaine. Microscopie à contraste interférentiel, vue à plat © Inserm/Jeanine Nguyen-Legros

« La lumière régule nos fonctions physiologiques, nos rythmes, et même notre humeur. Nous voulons comprendre comment », explique Ouria Dkhissi-Benyahya, chercheuse à l’Institut Cellule souche et cerveau de Bron (université Claude Bernard Lyon-1/Inserm). La plupart des tissus de l’organisme fonctionnent selon un rythme endogène d’environ 24 heures, appelé rythme circadien. Ces cycles spontanés sont quotidiennement recalés sur le cycle de la lumière solaire par une horloge centrale. Située dans le cerveau et plus précisément dans le noyau suprachiasmatique, cette horloge reçoit l’information lumineuse via la rétine.

Comme la plupart des tissus, la rétine possède sa propre horloge interne, avec cette particularité : elle est directement régulée par la lumière. Or, si l’on sait que toutes les cellules photosensibles de la rétine – cônes, bâtonnets et cellules ganglionnaires photoréceptrices –  participent au signal lumineux envoyé vers le noyau suprachiasmatique, les interrogations demeurent quant au rephasage de l’horloge rétinienne elle-même. Fait-il appel aux mêmes types de photorécepteurs ? Répond-il à la lumière de la même manière que celui de l’horloge centrale ?

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Coupe de rétine de souris, montrant les cônes de la couche externe, en vert, et une cellule ganglionnaire à mélanopsine de grande taille, en rouge, dans la couche interne © Inserm/Howard Cooper

Deux horloges indépendantes

L’équipe d’Ouria Dkhissi-Benyahya a consacré une recherche à ces questions. L’expérience a consisté à soumettre des rétines issues de souris, et dans lesquelles des photorécepteurs sont absents, à divers stimuli lumineux. L’effet produit sur l’horloge rétinienne était visualisé par le profil d’expression de Period2, un des gènes clés de la genèse des rythmes spontanés. En parallèle, les chercheurs ont mené les mêmes tests sur des animaux vivants (présentant les mêmes particularités que ceux utilisés pour les expériences ex vivo), afin de contrôler le rephasage de leur horloge centrale via leur activité locomotrice. Résultat : le traitement de la lumière s’effectue de manière indépendante dans chacune des deux horloge, rétinienne et centrale. 

Tout d’abord, seuls les bâtonnets se montrent indispensables au « rephasage » de l’horloge rétinienne. En outre, ces bâtonnets obéissent à deux modalités différentes de fonctionnement. En effet, ils sont capables de réagir à de faibles intensités lumineuses pour recaler l’horloge centrale, mais ne commencent à agir sur le calage de l’horloge rétinienne qu’à partir de niveaux lumineux très élevés. « C’est la première fois que l’on montre le rôle exclusif des bâtonnets pour la rétine et la nécessité d’une telle intensité lumineuse. Pourquoi cette différence ? Nous pensons que la rétine, en permanence exposée à la lumière, doit en quelque sorte éliminer le bruit que représentent les faibles intensités »,  avance la chercheuse.

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Espace sous-rétinien d’une souris modèle de la DMLA, composé de cellules photoréceptrices (en vert), d’un macrophage (en jaune), et de l’épithélium pigmentaire (en marron). Des noyaux cellulaires sont visibles en bleu. L’accumulation chronique de macrophages dans l’espace sous-rétinien est un signe de la DMLA. Microscopie électronique à transmission en fausse couleurs © Inserm/Florian Sennlaub

Des applications thérapeutiques possibles 

« Il est indispensable de comprendre comment fonctionne cette horloge rétinienne pour savoir ce qui est dérégulé lors de certaines pathologies oculaires touchant les photorécepteurs : glaucome, dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA)... », rappelle Ouria Dkhissi-Benyahya. Qui plus est, le dérèglement de l’horloge rétinienne, donc du fonctionnement de cet organe, pourrait par répercussion affecter l’horloge centrale, donc l’ensemble de l’organisme, à travers le cycle veille/sommeil par exemple. 

Pour l’heure, l’équipe envisage d’étudier la manière dont les bâtonnets traitent l’information lumineuse, en disséquant les différentes voies de transmission au sein même de la rétine. « Peut-être pourrons-nous trouver un moyen de rétablir le fonctionnement d’une horloge rétinienne perturbée, en jouant sur les photorécepteurs et les voies de transmission de l’information », imagine la chercheuse.