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Un refuge situé à 3.480 mètres d’altitude, le 28 novembre 2020, entre la Suisse et l’Italie © AFP Fabrice Coffrini

Là-haut sur la montagne était un refuge construit en Italie. Les aléas du changement climatique ont déplacé la frontière sur le glacier et les deux tiers de la cabane perchée à 3.480 mètres d’altitude se trouvent désormais en Suisse. Le refuge des Guides du Cervin, qui offre le gîte et le couvert dans ce coin des Alpes parmi les plus prisés des adeptes de la glisse, a fait l’objet d’intenses négociations diplomatiques pendant plus de trois ans, jusqu’à un compromis trouvé l’année dernière, dont les détails restent secrets. La position stratégique de la bâtisse attise les convoitises : elle est située à la jonction de Zermatt-Cervinia, une des plus grandes stations de ski au monde, au cœur d’un projet pharaonique de modernisation. « On a partagé un peu la poire en deux », explique le responsable de la frontière nationale suisse Alain Wicht, qui a pris part aux négociations où chacun a fait des concessions pour trouver « une solution pour que les deux se sentent sinon gagnants, au moins pas perdants. »

 

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Le refuge des Guides du Cervin, à 3.480 mètres d'altitude, le 28 novembre 2020 à la frontière entre la Suisse et l'Italie © AFP Fabrice Coffrini

La frontière fond

Sur les glaciers alpins, la frontière italo-suisse suit la ligne de séparation des eaux dont l’écoulement vers le nord marque le territoire suisse, et celui vers le sud, l’Italie. Celle-ci a été modifiée par la fonte du glacier du Théodule qui, perdant près d’un quart de sa masse entre 1973 et 2010, a laissé place à la roche, forçant les deux voisins à redessiner quelques dizaines de mètres de leur frontière.

Selon M. Wicht, si ces ajustements sont fréquents, ils se règlent généralement en comparant les relevés réalisés par les équipes des deux pays, sans intervention politique. « Il faut savoir qu’on se bat avec des terrains de moindre valeur », note-t-il : « c’est le seul endroit où on avait tout à coup une bâtisse qui se situait », donnant une « valeur économique » au terrain. Ses collègues italiens déclinent de leur côté toute demande d’interview « à cause de la situation internationale complexe ».

Le mystérieux contenu de l’accord négocié à Florence en novembre 2021 ne sera dévoilé qu’après son approbation par les autorités — côté suisse, le sujet ne pourra être présenté au Conseil Fédéral qu’en 2023, au plus tôt.

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Des skieurs près du refuge des Guides du Cervin, le 28 novembre 2020 à la frontière entre la Suisse et l'Italie © AFP Fabrice Coffrini

Ancien chef de la délégation suisse, Jean-Philippe Amstein est plus loquace, expliquant que ces différends se résolvent par un échange de territoires de surface et de valeur similaires. « La Suisse n’est pas intéressée à obtenir un bout de glacier », éclaire-t-il, et « les Italiens n’arrivent pas à compenser la perte de surface suisse ».

Ski au soleil

Le gardien du refuge, Lucio Trucco, 51 ans, a été informé qu’il resterait sur le sol italien. « Le refuge reste italien parce qu’on a toujours été italien », indique-t-il : « le menu est italien, le vin est italien, et les taxes sont italiennes ».

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Un refuge situé à 3.480 mètres d'altitude, le 28 novembre 2020, entre la Suisse et l'Italie © AFP Fabrice Coffrini

Ces années de négociation ont retardé la rénovation du refuge, aucun des villages des deux côtés de la frontière n’étant en mesure de délivrer le permis de construire. Les travaux ne seront pas terminés pour l’ouverture d’un nouveau téléphérique, qui permettra d’accéder au Petit Cervin, un des plus hauts sommets skiables d’Europe (3,883 m) depuis l’Italie fin 2023, assurant une traversée des Alpes « avec les pieds au sec » pour un coût estimé à 45 millions de francs (45,8 millions d’euros).

La zone n’était accessible que depuis Zermatt, que le ski d’été sur les 21 kilomètres de pistes du glacier a aidé à devenir une des stations les plus prospères de Suisse. Alors que certaines stations de moyenne montagne se préparent à la fin du ski alpin à cause du réchauffement climatique, Zermatt-Cervinia fait durer le plaisir, même si ces activités contribuent à la fonte du glacier. « C’est pour ça qu’il faut bien valoriser la zone ici parce que ça sera sûrement la dernière à mourir », défend M. Trucco. « On skie avec le soleil, au chaud, sans avoir froid aux pieds, et quand même dans une neige qui est bonne », dit-il.

Pour l’heure, sur les cartes suisses, la frontière entourant le refuge reste en pointillés.