La Méditerranée a perdu 70 % de son eau il y a 5,5 millions d’années, un assèchement spectaculaire dû à une période de fermeture du détroit de Gibraltar, selon une étude publiée lundi.

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Vue du détroit de Gibraltar depuis l’Espagne, le 27 novembre 2018 © AFP/Archives Jorge Guerrero

L’étroit passage maritime, qui sépare l’Espagne du Maroc, joue un rôle essentiel dans cet écosystème. Les fleuves qui alimentent la Méditerranée en eau douce sont en effet trop peu nombreux pour compenser l’évaporation de l’eau de mer. Ce déséquilibre est contrebalancé par les échanges d’eaux entre la mer et l’océan Atlantique à travers le détroit. En surface, l’eau atlantique entre en Méditerranée ; en profondeur, l’eau méditerranéenne – plus salée – sort vers l’Atlantique. 

Si ce passage était aujourd’hui bloqué, cela entraînerait une baisse du niveau de la mer « d’environ 0,5 mètre par an », rappellent les auteurs de l’étude publiée dans Nature Communications. C’est ce qui s’est produit, entre 5,97 et 5,33 millions d’années avant notre ère, à la fin du Miocène. Le blocage du détroit, dû notamment aux mouvements des plaques tectoniques, a limité les échanges d’eau entre la Méditerranée et l’océan atlantique, ce qui a entraîné une concentration de sels dans la mer.

Cet épisode, baptisé « crise de salinité messinienne », en référence à la ville italienne de Messine, a laissé des traces visibles: le fond de la Méditerranée est « recouvert d’une couche de sels qui fait jusqu’à 2-3 km d’épaisseur » et totalise un million de kilomètres cubes, explique à l’AFP Giovanni Aloisi, chercheur CNRS et géochimiste à l’Institut de physique du globe. Mais l’ampleur de la baisse du niveau de la mer lors de cette crise restait jusqu’à présent débattue. « Certaines hypothèses disaient que le niveau de la Méditerranée n’avait pratiquement pas baissé, d’autres que la mer s’étaient quasiment vidées », souligne M. Aloisi, qui a dirigé l’étude.

Pont terrestre

Grâce à l’analyse des isotopes du chlore contenus dans les sels extraits des fonds de la Méditerranée, celle-ci montre que cet épisode s’est en fait déroulé en deux étapes.

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Le détroit de Gibraltar, essentiel à l’équilibre de la Méditerranée, le 27 novembre 2018 © AFP/Archives Jorge Guerrero

Durant une première phase, d’environ 35 000 ans, la Méditerranée était « pleine d’eau, comme maintenant », mais le rétrécissement du détroit de Gibraltar « a rendu la sortie d’eau salée vers l’Atlantique un peu plus difficile », provoquant une accumulation de sels dans sa partie orientale et rendant la mer saumâtre, détaille le chercheur.

La seconde phase a été bien plus courte - environ 10 000 ans. Le détroit s’est « complètement fermé », la Méditerranée s’est « séparée » de l’Atlantique et les échanges d’eaux avec l’océan se sont interrompus, poursuit-il. Les sels se sont alors accumulés partout et la mer s’est asséchée.

Le niveau de l’eau a chuté de 1,7 à 2,1 km dans sa partie orientale et d’environ 850 m dans sa partie occidentale. Au total, le bassin méditerranéen a perdu 70 % de son volume d’eau. Jusqu’à ce que le détroit de Gibraltar se rouvre et que la mer se remplisse à nouveau. Cet assèchement a eu des conséquences spectaculaires sur le paysage et la biodiversité de la Méditerranée, où frayaient alors poissons et cétacés.

« Seuls des micro-organismes peuvent vivre à de tels niveaux de salinité », note M. Aloisi. Dans la partie occidentale, l’abaissement du niveau de la mer aurait conduit à la formation d’un pont terrestre reliant l’Afrique et l’Europe. Ce qui aurait permis « la colonisation des Baléares par des mammifères » venus du continent – chèvres, rongeurs et lapins –, comme le montrent de précédentes études, ajoute-t-il.

La baisse du niveau de la mer aurait aussi modifié la circulation atmosphérique au-dessus du bassin méditerranéen. Et même accru l’activité volcanique dans la région. « 70 % du volume de la Méditerranée représente une masse d’eau énorme, qui exerce une pression sur la lithosphère », la croûte externe de la Terre, explique le chercheur. Lorsque cette pression est allégée par la baisse du niveau de la mer, la formation du magma et sa migration vers la surface est facilitée, rendant des éruptions plus plausibles.