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Le littoral de Shankarpur après le passage du cyclone Yaas, le 27 mai 2021 en Inde © AFP/Archives Dibyangshu Sarkar

La moitié de la population mondiale est d’ores et déjà « très vulnérable » aux impacts croissants du changement climatique, et l’inaction « criminelle » des dirigeants risque de réduire les faibles chances d’un « avenir vivable » sur la planète, s’alarme l’Onu. Le nouvel opus des experts climat de l’Onu (Giec) publié lundi est sans appel : les conséquences du réchauffement provoqué par les activités humaines ne se conjuguent pas seulement au futur.

Sécheresses, inondations, canicules, incendies, insécurité alimentaire, pénuries d’eau, maladies, montée des eaux… De 3,3 à 3,6 milliards de personnes sont déjà « très vulnérables », souligne le « résumé pour les décideurs » négocié ligne par ligne par les 195 Etats membres lors de cette session en ligne et à huis clos qui a débordé de plus de 24 heures les deux semaines prévues.

Et ce n’est qu’un début. Si le monde ne se décide pas très vite à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, il devra faire face à un déluge d’impacts inévitables et « parfois irréversibles » dans les décennies qui viennent. « J’ai vu de nombreux rapports scientifiques dans ma vie, mais rien de comparable à celui-ci », a réagi le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, décrivant « un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l’échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques ». Une souffrance plus marquée pour les populations les plus fragiles comme les peuples autochtones ou les populations pauvres, insiste le Giec. 

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Sélection de zones côtières qui risquent de subir au moins une inondation par an, en moyenne, d’ici 2050, même si les émissions de gaz à effet de serre se réduisent drastiquement en accord avec l’accord de Paris sur le climat © AFP Patricio Arana

Mais qui n’épargne pas les pays riches, comme le rappellent l’Allemagne balayée par les inondations ou les États-Unis ravagés par les flammes l’an dernier. 

Face à ce tableau dramatique, il n’est pas question que ce rapport soit éclipsé par l’invasion russe en Ukraine, plaide Hans-Otto Pörtner, co-président du groupe du Giec ayant préparé ce rapport. Le réchauffement « nous hante. L’ignorer n’est pas une option », a-t-il déclaré à l’AFP.

Alors que la planète a gagné en moyenne environ +1,1 °C depuis l’ère pré-industrielle, le monde s’est engagé en 2015 avec l’accord de Paris à limiter le réchauffement bien en deçà de +2 °C, si possible +1,5 °C. Dans le premier volet de son évaluation publiée en août dernier, le Giec estimait que le mercure atteindrait ce seuil de +1,5 °C autour de 2030, soit dix ans plus tôt qu’escompté. Il laissait toutefois une porte ouverte, évoquant un retour possible sous +1,5 °C d’ici la fin du siècle en cas de dépassement.

Mais le deuxième volet publié lundi – avant un troisième, début avril, sur les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre – souligne que même un dépassement temporaire de +1,5 °C provoquerait de nouveaux dommages « irréversibles » sur les écosystèmes fragiles comme les pôles, les montagnes et les côtes, avec des effets en cascade sur les communautés qui y vivent. Et les conséquences désastreuses vont augmenter avec « chaque fraction supplémentaire de réchauffement », de la multiplication des incendies au dégel du pergélisol.

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Inondation dans le quartier Nine Elms, le 25 juillet 2021 à Londres © AFP/Archives Justin Tallis

Le rapport prédit également la disparition de 3 à 14 % des espèces terrestres même à +1,5 °C, et qu’à l’horizon 2050, environ un milliard de personnes vivront dans des zones côtières à risque, situées dans de grandes villes côtières ou de petites îles. Alors « l’adaptation est cruciale pour notre survie », a réagi dans un communiqué le Premier ministre d’Antigua et Barbuda, Gaston Browne, qui préside l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), appelant les pays développés à respecter leur engagement d’augmenter l’aide climatique aux pays pauvres, en particulier pour leur permettre de se préparer aux catastrophes qui s’annoncent.

À cet égard, le rapport constate que malgré quelques progrès, les efforts d’adaptation sont pour la majorité  fragmentés, à petite échelle » et que sans changement de stratégie, cet écart entre les besoins et ce qu’il faudrait risque de s’accentuer.

Mais à un certain point, s’adapter n’est plus possible. Certains écosystèmes sont déjà poussés « au-delà de leur capacité à s’adapter » et d’autres les rejoindront si le réchauffement se poursuit, prévient le Giec, soulignant ainsi qu’adaptation et réduction des émissions de CO2 doivent aller de pair.

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Un camp de réfugiés sud-soudanais inondé par le Nil blanc après de fortes pluies, le 13 septembre 2021 près d’Al Qanaa, au Soudan © AFP/Archives Ashraf Shazly

Au contraire, « si on s’en tient aux engagements actuels, les émissions devraient augmenter de près de 14 % au cours de cette décennie. Ce serait une catastrophe. Toute chance de maintenir l’objectif de 1,5 °C en vie serait anéantie », a dénoncé Antonio Guterres, désignant comme « coupables » les grands pays émetteurs « qui mettent le feu à la seule maison que nous ayons » : « Cette abdication de leadership est criminelle ». 

Malgré le constat cataclysmique, plusieurs Etats, notamment Chine, Inde et Arabie saoudite ont tenté pendant les négociations de faire retirer des références à l’objectif de +1,5 °C, ont indiqué à l’AFP plusieurs sources participant aux discussions.

Le pacte de Glasgow adopté lors de la COP26, fin 2021, appelle pourtant les États à renforcer leur ambition et leur action climatiques d’ici la COP27 en Egypte en novembre, dans l’espoir de ne pas dépasser ce seuil. « N’oublions pas une chose : nous sommes dans le même canoë », a commenté l’ancien Premier ministre de Tuvalu, Enele Sopoaga. « Soit nous lui permettons de flotter, soit nous le laissons couler et nous nous noyons tous ».