Détecter des ondes sismiques au fond des océans grâce aux… câbles de télécommunications. Une idée saugrenue ? Voire « naïve », selon les termes d’un des chercheurs qui en a eu l’idée, Anthony Sladen (CNRS) ? Peut-être, mais très efficace !

L’idée est simple : utiliser les infrastructures de télécommunications pour détecter les ondes acoustiques et sismiques. Sa faisabilité vient d’être mise en évidence par une équipe française. Elle n’était pas évidente, puisque la fibre optique, sous l’eau, est protégée contre les agressions par de gros câbles, des armatures métalliques, du gel : « On craignait que dans ce cas, la fibre optique ne pût pas enregistrer les ondes, car elle n’était pas en contact directement avec le milieu », explique Anthony Sladen. Or tel n’est pas le cas.

40 000 sismomètres théoriques

Pour le démontrer, l’équipe a utilisé un câble de 40 kilomètres installé pour une manipulation de physique à des fins de recherche, au large de Tours, à 2500 mètres de profondeur, et similaire à un câble standard de télécommunications. La manipulation est très simple : « À terre, dans le local dans lequel la fibre est connectée, on installe un boîtier. Celui-ci envoie des pulses de lumière qui interagissent avec les micro-impuretés présentes dans la fibre, à la manière de petits miroirs – d’où le nom donné à la technique, celui de sismologie photonique (l’équivalent du DAS en anglais, pour Distributed Acoustic Sensing).En traversant le câble, l’onde rapproche ou éloigne ces sortes de petits miroirs, ce qui permet de mesurer l’amplitude de l’onde et donc sa nature », explique le chercheur. « En théorie, c’est l’équivalent d’un sismomètre tous les mètres, soit 40 000 ; en pratique, comme cela génèrerait trop de données à analyser, on s’est contenté de prendre des mesures tous les six mètres tout au long du câble ».

L’équipe a ainsi récolté des données durant quatre jours et enregistré quelque mille mesures par seconde sur les 6 000 capteurs installés. Le résultat est « vraiment fantastique », se réjouit Anthony Sladen. De cette manière a ainsi pu être identifié un séisme très petit, d’une magnitude de 1,9, à 100 kilomètres de distance. « C’est une révolution », insiste-t-il, puisque les séries temporelles recueillies portent sur plusieurs points et non plus un seul : « On voit l’onde passer ».

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Ondes sismiques émises par un séisme de magnitude 1,9 localisé au nord de Fréjus (Var), enregistrées le long du câble fibre optique de 41 km installé au fond de la mer au large de Toulon. Sur l’enregistrement à droite, chaque ligne correspond à un point de mesure situé le long du câble. La différence de temps d’arrivée des ondes aux différents points de mesure permet de remonter à la localisation du séisme © Diane Rivet

De la sismique à la biologie  

Outre ce séisme, l’équipe a aussi observé l’évolution des vagues, leur transmission d’énergie dans le sol. Et imagine déjà bien d’autres applications : cartographie du sous-sol marin ; suivi du trafic maritime ; analyse de la pollution acoustique générée par les bateaux ; météo marine ; repérage des mammifères marins ; meilleure connaissance du « bruit micro-sismique » qui, né des ondes que les vagues envoient dans la terre, perturbent les instruments de mesure. Autrement dit, résume Anthony Sladen, « la richesse de ce signal est spectaculaire, d’autant qu’il n’y a pas d’équivalent ».

Enfin, des applications pourraient suivre sur terre. Par exemple, après le séisme près de Montélimar (magnitude 5), en novembre dernier, l’équipe a enregistré les répliques (les données restent à analyser). « Il nous a fallu une demi-heure seulement pour brancher notre boîtier sur un câble de 14 kilomètres de fibre et générer ainsi 400 capteurs ! » raconte Anthony Sladen. Là aussi, il s’est agi d’une expérience pilote en France, une première, mais de telles observations pourraient être réalisées en routine à moindres frais. 

À plus long terme, la sismologie photonique pourrait être appliquée au suivi du trafic automobile, des ondes sismiques à l’intérieur des villes (compliquées à observer autrement) ou des glaciers, à la prévention des glissements de terrain ou encore à la surveillance d’infrastructures sensibles grâce à la simple installation d’une fibre optique à l’intérieur du béton.

Une solution accessible à tous

Le gros avantage, en effet, c’est que « ce type de câble est présent un peu partout, alors que pour étudier les séismes, on dispose de peu d’instruments ». Les sismomètres actuels ou GPS sous-marins habituellement utilisés sont coûteux, compliqués à installer et à entretenir, et pas toujours très fiables. Mais cette solution pourrait intéresser les pays à risque sismiques faiblement instrumentés, par exemple sur le pourtour du Pacifique, pour lancer des alertes sismiques en temps réel.

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Effet de la houle enregistré sur les huit premiers kilomètres de fibre optique © Diane Rivet

« Maintenant que la preuve de concept est donnée, on aimerait avoir accès à des câbles dans des zones d’intérêt », poursuit Anthony Sladen : « Comme tout est fait à terre, à l’abri, il est facile d’intervenir ». Concrètement, une fenêtre d’opportunité s’ouvre actuellement pour cela.

En effet, les câbles océaniques installés massivement dans les années 2000 devront bientôt être « mis à la retraite » et remplacés : on pourrait leur offrir une seconde vie en changeant les boîtiers. Autre solution : les câbles actuels devant être remplacés, les opérateurs pourraient prévoir une fibre supplémentaire, lors de leur changement, destinée à la mesure des ondes sismo-acoustiques. Or c’est actuellement 1,2 million de kilomètres de câbles de télécommunication qui tapit le fond des océans, soit trois fois la distance de la Terre à la Lune !