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Photo en date du 14 mai 2012 montrant les dossiers de « l’affaire du Médiator », sur un pupitre, à Nanterre © AFP/Archives Martin Bureau

Neuf ans après le scandale du Mediator, un antidiabétique soupçonné d’être à l’origine de centaines de morts, le procès des laboratoires Servier et de l’Agence du médicament s’ouvre lundi à Paris. Le procès devrait durer plus de six mois. 

Sur le banc des prévenus : le groupe pharmaceutique et neuf filiales, ainsi que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et plusieurs de ses membres mis en cause pour leurs liens avec Servier. Leur feront face les avocats des parties civiles représentant les milliers de plaignants.  

Jusqu’au 30 avril 2020, date à laquelle doit prendre fin ce procès pénal hors norme devant le tribunal correctionnel, une question animera les débats : comment ce médicament, largement détourné comme coupe-faim, a-t-il pu être prescrit pendant 33 ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité ?

Pour l’un des avocats des victimes, Charles Joseph-Oudin, « le laboratoire a délibérément menti et caché les propriétés dangereuses du médicament ». Le groupe Servier s’en défend : « Il n’est pas apparu de signal de risque identifié avant 2009 » et son retrait du marché, selon un des conseils de la firme, Me François de Castro.  

Le groupe a déposé trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui seront examinées, avec d’autres demandes de nullité, au cours de la semaine. La première journée sera uniquement consacrée à l’organisation du procès et à l’appel de la centaine de témoins. 

Parmi eux, Irène Frachon, pneumologue à Brest, qui avait la première alerté sur les risques du Mediator et publié un livre-enquête en juin 2010. 

Jusqu’à son retrait du marché, le 30 novembre 2009, le Mediator a été utilisé par cinq millions de personnes en France. Il est à l’origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une pathologie rare et mortelle, et pourrait être responsable à long terme de 2 100 décès, selon une expertise judiciaire.

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Photo en date du 21 mai 2013 : Jacques Servier, fondateur des Laboratoires Servier, attend dans la salle d’audience du palais de justice de Nanterre © AFP/Archives Lionel Bonaventure

Le procès concernera essentiellement des faits de « tromperie aggravée », l’instruction pour « homicides et blessures involontaires » étant toujours en cours. Cela étant, le cas de 91 victimes, dont quatre sont décédées, et pour lesquelles les expertises ont conclu à un lien de causalité certain entre les pathologies et la prise de Mediator, a été joint à l’audience. 

Toutefois, une grande partie de ces victimes corporelles a accepté des accords transactionnels d’indemnisation avec Servier, accords en vertu desquels elles ont renoncé à prendre part à la procédure pénale, indique Jean-Christophe Coubris, avocat de 1650 parties civiles. 

« Malades, loin, désabusées, désargentées », de nombreuses victimes ne feront pas le déplacement, pointe Me Joseph-Oudin, qui veut « éviter que ce ne soit qu’un procès d’experts : Il faut rappeler au tribunal la réalité terrifiante des désastres et méfaits du Mediator », insiste-t-il.

Onze personnes morales et douze personnes physiques comparaîtront au total. Cinq mis en cause sont décédés lors de l’instruction, dont le principal protagoniste, le fondateur des laboratoires Jacques Servier, mort en 2014 à 92 ans, au grand dam des victimes.

Le groupe Servier devra répondre de sept infractions, dont escroquerie au préjudice de la sécurité sociale et des mutuelles. 

À ses côtés, l’ANSM, qui a remplacé l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) après le scandale, sera jugée pour « homicides et blessures involontaires » par « négligence », pour avoir tardé à suspendre le médicament, malgré une accumulation d’alertes sur les risques depuis le milieu des années 1990. 

En France, de premiers cas de valvulopathies et d’HTAP avaient été signalés dès 1999, et le Mediator avait été retiré de la vente en Espagne et en Italie en 2003. 

Représentant l’ANSM au procès, son directeur général Dominique Martin indique qu’il participera aux débats « dans la transparence la plus totale, afin de concourir à la manifestation de la vérité et d’assumer sa responsabilité de directeur d’établissement public ».

Parmi les personnes prévenues figurent l’ex-numéro deux du groupe, Jean-Philippe Seta, des médecins membres de commissions de l’Afssaps également rémunérés comme consultants pour les laboratoires, ou encore l’ex-sénatrice Marie-Thérèse Hermange, soupçonnée d’avoir rédigé en 2011 un rapport favorable à Servier.

Le groupe Servier et l’ANSM encourent des amendes et l’indemnisation de nombreuses victimes.