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Photo transmise le 23 janvier 2024 par l'Hôpital des enfants de Philadelphie (USA) du Dr John Germiller et du petit patient Aissam Dam, 11 ans © Children's Hospital of Philadelphia/AFP/Archives Handout

"Cela va changer la donne" : plusieurs équipes médicales lancent dans le monde des thérapies géniques inédites pour traiter des enfants à la surdité héréditaire. Si ces traitements ne concernent actuellement que très peu de patients, ils marquent une avancée potentiellement révolutionnaire.

Un garçon de 11 ans "né sourd profond" entend "pour la première fois de sa vie" après cette thérapie, a annoncé mardi l'Hôpital pour enfants de Philadelphie, aux Etats-Unis.

La thérapie génique appliquée visait à corriger l'anomalie rare d'un gène à l'origine de la surdité, a expliqué le chirurgien John Germiller, directeur de la recherche clinique dans la division d'oto-rhino-laryngologie (ORL). 

Près de quatre mois après l'opération réalisée en octobre, l'audition de l'enfant s'est améliorée au point qu'il ne présente plus qu'une perte auditive légère à modérée.

Il pourrait toutefois ne jamais pouvoir parler, la partie du cerveau destinée à l'acquisition de la parole se fermant vers l'âge de cinq ans.

Jeudi, une étude publiée dans la revue médicale The Lancet a révélé qu'un traitement similaire administré en Chine à six enfants sourds avait permis à cinq d'entre eux de retrouver l'ouïe.

"Certains enfants peuvent désormais avoir une conversation normale, décrocher le téléphone et parler", se félicite Zheng-Yi Chen, chercheur à l'hôpital Massachusetts Eye and Ear (États-Unis), co-auteur de cette étude. 

Deux de ces enfants n'étaient pas équipés d'implants avant l'opération et donc n'entendaient absolument rien et ne parlaient pas. Ils ont aujourd'hui retrouvé l'audition, précise-t-il.

Futur essai clinique en France

En début de semaine, la France annonçait à son tour l'ouverture prochaine d'un essai clinique pour évaluer l'efficacité d'un nouveau médicament similaire de thérapie génique.  

Ce traitement s'adressera à des bébés âgés de 12 à 31 mois : comme Aissam Dam, ou les petits Chinois de l'étude du Lancet, ils présentent des mutations dans le gène OTOF qui ne peut plus assurer la production de l'otoferline, une protéine nécessaire aux cellules sensorielles de l'oreille interne pour convertir les vibrations sonores en signaux électriques envoyés au cerveau.

Spécificité de cette approche : "La proposer à des tout petits, ce qui permettra l'acquisition du langage", indique Nawal Ouzren, directrice générale de Sensorion, la biotech française qui développe le médicament.

La thérapie, qui sera injectée directement dans l'oreille interne des enfants, doit permettre de corriger l’anomalie génétique afin de restaurer leur bon fonctionnement et donc l'audition.

Tous ces essais se basent sur des dizaines d'années de recherches. Ils "reposent entièrement sur les recherches menées à l'Institut Pasteur", rappelle la Pr Christine Petit, de l'Institut Pasteur, partie prenante du consortium qui mène l'essai français. 

En 1999, son équipe a découvert ce gène dont l'atteinte entraîne une surdité profonde ou sévère chez le nouveau-né, avant d'élucider le rôle de l'otoferline. 

Et en 2018, l'équipe a montré, avec deux chercheurs américains, que le transfert d'une copie normale de ce gène dans l'oreille de souris sourdes porteuses d’une mutation dans le même gène, pouvait leur redonner une audition quasi normale. Ne restait plus qu'à concrétiser cette technique chez l'humain. 

"Ça change la donne, c'est un pas technologique qui va révolutionner la prise en charge thérapeutique", s'enthousiasme Natalie Loundon, oto-rhino-laryngologiste pédiatrique et chirurgien de la tête et du cou à Necker-Enfants malades AP-HP, membre du consortium français. "L'idée, c'est de pouvoir proposer cette thérapie à des enfants à la place d'un implant, qui n'est pas toujours bien accepté", poursuit-elle. Mais, ne seraient concernés dans les années à venir qu'un tout petit nombre de patients. 

Car si environ 1 enfant sur 1.000 naît avec une surdité génétique, la mutation du gène à laquelle s'adresse aujourd'hui cette thérapie n'est présente que dans 3% des cas, soit une dizaine de patients par an en France. 

Depuis 30 ans, quelques centaines d'autres gènes dont l’atteinte affecte l'audition ont été identifiés. Cette première thérapie ouvre en tout cas la porte à d'autres traitements, espèrent les chercheurs.

Avec l'Institut Pasteur, Sensorion développe ainsi une deuxième médicament ciblant un gène dont les mutations sont responsables des formes les plus fréquentes de surdités à la naissance.