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Le supercalculateur Jean Zay, l’un des plus puissants d’Europe, nommé ainsi en l’honneur du ministre de l’Éducation nationale de 1936 à 1939, co-fondateur du CNRS © Cyril Fresillon/Idris/CNRS Photothèque

Niché au cœur du campus Paris-Saclay, le nouveau supercalculateur Jean-Zay impressionne par sa puissance – équivalente à 40 000 ordinateurs personnels – fournie par une armée de processeurs Intel « Cascade Lake » hébergés dans une vaste pièce de l’institut du développement des ressources en informatique (Idris) du CNRS.

Soumettez-lui des problèmes ardus, comme le calcul de la température moyenne en Irlande dans cent ans, la conception de la forme d’une molécule pour passer efficacement à travers la membrane d’une synapse ou encore l’entraînement de voitures autonomes à discerner un sac en plastique d’un chien errant, et par le truchement du calcul parallèle, le superordinateur abat une masse de travail pharaonique en un temps record.

« Au lieu d’attendre un mois pour obtenir les résultats, nous les aurons au bout d’une semaine ! », s’enthousiasme le directeur du laboratoire de biochimie théorique du CNRS, Marc Baden. Le biochimiste travaille notamment sur la modélisation 3D du virus de la grippe afin de déterminer en quoi la température ambiante affecte sa virulence. La réponse à cette question pourrait bien se trouver dans la façon dont les protéines membranaires du virus changent de forme au gré des conditions thermiques.

Un supercalculateur taillé pour l’IA

S’il est un domaine où le superordinateur du CNRS est très attendu, c’est celui de l’intelligence artificielle (IA). La France accusait jusqu’ici un certain retard technologique, si bien que les chercheurs n’avaient parfois d’autre choix que de nouer des partenariats avec le secteur privé, comme Google, pour faire tourner leurs algorithmes sur les supercalculateurs du géant de la Silicon Valley. Et parce qu’il est dans l’intérêt des GAFA de permettre à la recherche publique de former les meilleurs cerveaux qui soient, un autre géant des GAFA, Facebook, a fait don de 248 processeurs graphiques (d’une valeur de 2,7 millions d’euros) au fleuron français du calcul intensif. Or ce matériel informatique est indispensable à la recherche en IA.

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Pendant un an, l’installateur choisi par le CNRS, Hewlett Packard Enterprise, a mis à disposition des ingénieurs spécialisés pour former les utilisateurs à cette nouvelle machine plus puissante © Cyril Fresillon/Idris/CNRS Photothèque

Merci aux gamers

Dans ses 60 000 cœurs, Jean-Zay compte plus d’un millier de GPUs (Graphics Processing Units), des processeurs spécialisés dans l’accélération graphique. La recherche en intelligence artificielle y est totalement « accro » ! Sans eux, elle ne pourrait pas ingurgiter les données massives nécessaires à l’apprentissage automatique (deep learning) de ses programmes.

Peu à peu, cette nouvelle approche du calcul bénéficie à toutes les autres disciplines scientifiques. Dérivés de l’industrie du jeu vidéo, les GPUs détrônent progressivement les CPUs (Central Processing Units). À charge pour les scientifiques de coder leurs algorithmes en conséquence, notamment pour les recherches qui carburent aux CPUs depuis les années 1970 et au premier rang desquelles figure la modélisation climatique. 

Un gouffre énergétique… maîtrisé

Au-delà des services fournis par Jean-Zay aux institutions de recherche (et un peu au secteur privé, sur la portion congrue des pétaflops restants), l’autre innovation du nouveau supercalculateur du CNRS se situe en amont de ses prestations calculatoires. La petite prouesse de Jean-Zay tient en ce qu’il a maintenu la facture énergétique au même niveau. Si la première tranche d’équipements informatiques a coûté 25 millions d’euros à l’État (la suivante arrivera fin 2020), le budget pour alimenter le supercalculateur en énergie s’élève à un million d’euros par an ! Car ces machines se comportent tels des radiateurs qu’il faut constamment refroidir.

Le mathématicien Denis Girou, directeur de l’Idris, insiste particulièrement sur les efforts menés pour limiter la consommation d’électricité. « Les composants de Jean-Zay supportent des températures bien plus élevées. Le système de refroidissement hydraulique reçoit de l’eau à 42 °C en sortie des machines, et la réinjecte à 32 °C. Sur les anciennes machines, il fallait faire descendre la température jusqu’à 12 °C ».

Pour couronner le tout, une partie de la chaleur générée par le supercalculateur est récupérée pour chauffer le bâtiment qui l’accueille ainsi que d’autres bâtiments voisins. Jean-Zay : un ordi qui vous veut du bien.