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« Aucun bruit et c’est bon pour la planète » : le premier bateau de tourisme fluvial à hydrogène de France vogue depuis peu sur les canaux de Bourgogne, sans aucune émission de carbone. Mais cette propulsion pionnière rencontre encore de nombreux freins.

Peter Clayton, touriste anglais de 52 ans, vient de tourner la clef de contact du bateau qu’il a loué pour une balade en famille sur le canal latéral à la Loire, à Digoin (Saône-et-Loire). Mais aucun bruit ne s’échappe du petit coffre arrière abritant le moteur. 

« On n’entend que l’eau », dit ce pilote d’un jour, casquette et lunettes noires sur son visage baigné de soleil.

« C’est comme si on glissait » confirme son épouse Tammy, 49 ans. « On a loué 2-3 bateaux thermiques mais celui-ci ne fait aucun bruit. C’est une bonne expérience et c’est bon pour la planète », ajoute Tammy entre deux bavardages avec une amie française, Sabrina Blond, 41 ans.

« On a zéro nuisance. On n’entend que les oiseaux », dit-elle en embrassant du regard le paysage d’arbres et de prés, au passage de la petite embarcation de 8,5 mètres, disponible à la location depuis quelques semaines seulement.

Sur mer, le premier yacht à hydrogène a été lancé dès 2020 au large de la Méditerranée par la société Hynova, à La Ciotat (Bouches-du-Rhône).

Mais sur l’eau douce, le mouvement planétaire de décarbonation par l’hydrogène reste timoré : le premier bateau a été mis à l’eau, en août 2019, pour un service de navettes publiques sur l’Erdre, une rivière traversant Nantes.

De multiples projets de transports de marchandises sont en cours, dont le plus avancé est une barge à hydrogène destinée à livrer Paris.

Trois fois plus cher

Pour le tourisme fluvial, seuls Les Canalous, premier loueur-constructeur de bateaux fluviaux en France, basé à Digoin, se sont jetés à l’eau.

« C’est vrai que c’est osé car le retour sur investissement, on en est loin », reconnaît son patron Alfred Carignant, listant les obstacles rencontrés.

Le coût, d’abord : une embarcation à hydrogène coûte « trois fois plus cher » à la construction, selon lui. Et le « carburant » hydrogène coûte 30 euros la journée de transport, contre environ 8 pour l’électrique et 15 pour le diesel.

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Alfred Carignant, patron de l'entreprise de tourisme fluvial Les Canalous, montre le moteur à hydrogène d'un de ses bateaux, à Digoin, en Saône-et-Loire © AFP OLIVIER CHASSIGNOLE

« Le problème de l’hydrogène, c’est l’avitaillement : on doit l’acheminer par camions » depuis ses lieux de production, généralement loin des canaux, ce qui augmente son coût et annule son avantage « zéro émissions », explique Philippe Cauneau, ingénieur transport à l’Ademe, l’agence de la transition écologique. 

L’hydrogène alimentant le bateau des Canalous est produit avec des éoliennes, et donc vert, mais il vient de Vendée, à plus de 500 km.

« Transporter un kilo d’hydrogène sur 100 km par le mode routier génère 2,5 kilos de carbone », rappelle M. Cauneau. Pour baisser le coût environnemental et le prix, « à environ 3-4 euros le kilo d’hydrogène contre 10 actuellement, on doit être sur une production dans un rayon de dix km », explique-t-il.

« A quand une production d’hydrogène directement sur le bord du canal ? », rêve quant à lui M. Carignant, rappelant que l’hydrogène se produit à partir d’eau. 

« Il n’y a pas de producteur d’hydrogène s’il n’y pas d’utilisateurs. Mais les utilisateurs veulent être rassurés sur la diffusion d’hydrogène. C’est le chien qui se mord la queue », résume Christelle Boutolleau, directrice générale d’Europe Technologies, une société nantaise spécialisée notamment dans la motorisation alternative des bateaux, partie prenante au projet des Canalous.

« C’est comme quand on passait du cheval à l’automobile. A ses débuts aussi, l’automobile a toussé », explique-t-elle. « Nous sommes dans une phase pionnière ».