Isabelle Bousquet - Publié le , mis à jour le
Pour comprendre le fonctionnement de la machine climatique et prédire l’évolution du climat à venir, les centres de recherche sur le climat développent des modèles numériques, basés sur des programmes informatiques, qui permettent de simuler dans le temps et dans l’espace la circulation en 3D de l’atmosphère, de l’océan et l’ensemble de leurs caractéristiques (température de l’air ou de l’océan, vents, précipitations, humidité…). Ces modèles – il en existe une quarantaine dans le monde dont deux en France – doivent encore être améliorés, mais ils permettent déjà de prévoir les grandes tendances. Résultat : si les activités humaines se poursuivent au rythme actuel, on s’attend à un réchauffement jusque quatre fois plus rapide ce siècle que le précédent, une montée du niveau des mers pouvant aller jusqu’à un mètre d’ici à 2100, certaines régions du monde risquant d’être submergées… Sans compter les effets destructeurs d’évènements météorologiques extrêmes plus intenses et les pertes d’écosystèmes marins et terrestres. Seule une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre permettrait de contenir le réchauffement à un niveau tolérable pour la planète en termes d’impacts.
Les projections des climatologues
Il existe une quarantaine de modèles dans le monde, dont deux en France. Ce sont les seuls outils permettant de prédire l’évolution du climat futur.
Pour comprendre le fonctionnement de la machine climatique et prédire l’évolution du climat à venir, les scientifiques réalisent des modèles numériques, basés sur des programmes informatiques, qui permettent de simuler dans le temps et dans l’espace divers paramètres (température de l’air, de l’océan, vent, humidité, précipitations…). La modélisation du climat passe par une mise en équation des phénomènes climatiques à partir de lois physiques. La mécanique des fluides, par exemple, permet de décrire mathématiquement les vents et les courants marins. Initialement élaborés pour la prévision du temps, les modèles de circulation générale de l’atmosphère ont été progressivement enrichis. Aujourd’hui, les modèles dits du système Terre prennent également en compte la composition de l’atmosphère (gaz à effet de serre, aérosols…), les océans, les sols et la dynamique de la végétation, ainsi que le cycle du carbone. Il existe une quarantaine de modèles dans le monde, dont deux en France*. Pour développer de tels outils de prévision, les climatologues doivent faire face à de nombreuses difficultés : par exemple, la diversité d’échelles des phénomènes rencontrés ou la complexité des interactions entre les divers composants de l’environnement. D’où parfois des résultats qui diffèrent selon les modèles. Les climatologues préfèrent donc parler de projections climatiques plutôt que de prévisions lorsqu’ils annoncent les résultats de leurs modèles. Pour l’heure, il s’agit des seuls outils permettant d’évaluer les risques climatiques futurs.
Une planète virtuelle
Comme toute modélisation numérique, celle des climats terrestres repose sur un découpage ou « maillage » de la zone étudiée, ici le globe, en sous-parties de 100 x 100 km. Ces mailles sont encore trop larges pour simuler des micro-processus, comme la formation des nuages ou le transport des aérosols, qui ne peuvent donc être représentés de façon explicite. Néanmoins, pour prendre en compte leur influence à grande échelle sur le climat, les chercheurs passent par une méthode empirique, dite de « paramétrisation ». Celle-ci constitue la plus grande source d’incertitude des modèles.
Les modèles sont-ils fiables ?
Les modèles sont soumis à des séries de tests pouvant aller jusqu’à vérifier leur capacité à reproduire le climat d’autres planètes.
Il y a plusieurs façons de s’assurer de la fiabilité d’un modèle climatique : on le confronte aux observations disponibles (stations météorologiques, bouées Argo, mesures satellitaires…) ; on évalue sa capacité à reproduire les caractéristiques saisonnières du climat dans chaque région (moussons tropicales, englacement de l’Arctique en hiver…) ou les tendances récentes du climat observé (réchauffement global). On le teste aussi dans un contexte très différent du climat actuel, soit en vérifiant qu’il est capable de reproduire des climats passés, comme les périodes glaciaires ; soit en le testant sur d’autres planètes du Système solaire, comme Mars ou Vénus. Les résultats des modèles sont ensuite déposés dans des bases de données accessibles à tous les chercheurs et font l’objet de vérifications au-delà de la communauté des modélisateurs. Certains résultats sont retrouvés dans toutes les simulations et les scientifiques leur accordent un haut degré de confiance (par exemple, le réchauffement en Arctique) ; d’autres sont très différents d’un modèle à l’autre, et donc plus incertains. Ainsi, la façon de prendre en compte les nuages conduit, pour un même scénario d’émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, à une estimation du réchauffement global qui peut varier d’un facteur 2. Les modèles doivent donc encore être améliorés. Mais ils permettent déjà de prévoir les grandes tendances du changement climatique sans que l’on sache précisément où, quand et avec quelle amplitude les impacts se feront sentir.
Des supercalculateurs de plus en plus puissants
La prévision du climat nécessite des calculs beaucoup plus lourds que celle de la météo, qui suit uniquement l’évolution de l’atmosphère. La capacité des ordinateurs actuels (ici, le supercalculateur Curie du CEA) permet de descendre à une précision de 8 kilomètres (zone étudiée) pour les modèles météorologiques et de 100 kilomètres pour les modèles climatiques. Il faut pratiquement une année de calculs pour modéliser le climat sur 2 000 ans. L’accroissement futur des puissances de calcul devrait permettre d’affiner le maillage et d’effectuer des simulations plus rapidement.
Le double jeu des nuages
Les nuages représentent une source d’incertitude importante dans la prévision du changement climatique : outre le fait qu’il est difficile de les modéliser, ils peuvent, selon leur altitude, leur épaisseur ou leur forme, avoir un effet de serre réchauffant ou un effet parasol qui refroidit l’atmosphère. Il est donc important de mieux comprendre leurs mécanismes de formation. C’est tout l’enjeu des mesures effectuées par certains satellites : au sein de la constellation de satellites Aqua Train, le laser de Calipso et le radar de Cloudsat permettent désormais d’observer les nuages en trois dimensions.
Dérèglement climatique en vue
Si l’exploitation des énergies fossiles se poursuit au rythme actuel, les projections des climatologues annoncent un réchauffement de 4 °C supplémentaires d’ici à 2100.
Depuis 2010, les climatologues travaillent sur quatre scénarios de concentrations de gaz à effet de serre (dits RCP : Representative Concentration Pathways) pour les décennies à venir. Résultat : les modèles du climat montrent que l’ampleur du réchauffement global futur sera proportionnelle au cumul des rejets de gaz à effet de serre dus aux activités humaines. Si dans tous les scénarios le réchauffement global est relativement comparable durant les trente prochaines années (réponse inéluctable à l’impact déjà produit par les activités humaines sur le climat), de grandes différences apparaissent par la suite. Dans le cas du scénario RCP 2.6, qui correspond à une réduction très forte des émissions de gaz à effet de serre, la température va encore augmenter de 1 °C d’ici à 2050 puis se stabiliser. Le niveau des mers augmentera de 40 centimètres d’ici à 2100 et la banquise arctique n’aura pas disparu en été. À l’inverse, dans le cas du scénario le plus élevé, RCP 8.5, qui correspond à la poursuite de l’exploitation croissante des énergies fossiles comme c’est le cas aujourd’hui, les modèles des climatologues annoncent un réchauffement jusque quatre fois plus rapide ce siècle que le précédent (4 °C supplémentaires d’ici à 2100, voire 6 °C en 2200 et 8 °C en 2300), une montée du niveau des mers pouvant aller jusqu’à 1 mètre d’ici 2100, et un océan arctique libre de glace en été.
Le dégel du pergélisol
Ce sol gelé en permanence qui couvre un cinquième de la surface terrestre (90 % du Groenland, 80 % de l’Alaska, 50 % du Canada et de l’ex-Union soviétique) commence à se réchauffer. Or, en dégelant, il pourrait libérer dans l’atmosphère du méthane et du dioxyde de carbone, ce qui pourrait amplifier le réchauffement climatique. Des chercheurs de huit laboratoires français et canadiens* suivent donc de près l’évolution du pergélisol. Certaines villes, comme Iakoutsk en Sibérie centrale, ou certains villages inuits, comme Kuujjuarapik dans le nord canadien (photo), sont bâtis sur ce sol gelé.
Des cyclones de plus en plus violents
En 2017, pendant deux mois, l’Atlantique nord a connu une saison cyclonique hors normes avec une série de dix ouragans consécutifs dont six majeurs. Les ouragans Irma et Maria, qui se sont abattus sur les Antilles, ont été classés en catégorie 5, le plus haut degré de l’échelle de Saffir-Simpson avec des rafales à plus de 350 km/h. Selon les projections des climatologues, la proportion de ce type de cyclones, très intenses, devrait augmenter avec le réchauffement climatique. Y compris dans les autres régions du monde (comme ici sur la photo, au Vanuatu en mars 2015). Aujourd’hui, les pertes économiques dues aux catastrophes naturelles atteindraient, selon l’Onu, 240 à 290 milliards d’euros par an.
L’Europe n’est pas épargnée
Les pays du nord sont eux aussi touchés par des évènements météorologiques extrêmes. Depuis 2000, l’Europe a enregistré une dizaine de records de canicules (celle de 2003 a provoqué la mort de 35 000 personnes en Europe dont 15 000 en France), sécheresses ou inondations. Ici, l’inondation dévastatrice qui a frappé le sud de la Grande-Bretagne durant l’hiver 2013-2014, la plus importante depuis le début des mesures météorologiques. Même s’il n’est pas certain que ces évènements extrêmes soient directement imputables au changement climatique, il ne fait plus guère de doute que celui-ci aura pour effet de les rendre encore plus intenses.
Petits effets, grandes conséquences
Le réchauffement de la planète provoque des réactions en chaîne qui vont encore l’amplifier, avec des effets destructeurs pour l’environnement et les humains.
Dans le 5e rapport du Giec, la liste est longue des risques associés à la poursuite du réchauffement global de la planète : disparition de la banquise arctique durant l’été, acidification des océans, migration ou extinction d’espèces, baisse des rendements agricoles, insécurité alimentaire, augmentation des épidémies, apparition de maladies (comme le paludisme) dans de nouvelles zones, diminution des ressources en eau, évènements météorologiques encore plus extrêmes, élévation du niveau des océans, augmentation des catastrophes naturelles, flux migratoires nouveaux… Une diversité de conséquences impressionnante au regard d’une élévation du thermomètre mondial pouvant sembler modeste (4 °C d’ici à 2100, si l’on continue sur la trajectoire actuelle). Mais le réchauffement de l’atmosphère provoque des réactions en chaîne qui vont encore l’amplifier. En intensifiant les phénomènes d’évaporation, il va augmenter la concentration de vapeur d’eau (gaz à effet de serre) dans l’atmosphère, ce qui ne fera que renforcer le réchauffement initial. De même, la fonte des glaces polaires et des glaciers va s’accélérer : les régions découvertes ne réfléchissant plus autant la lumière du Soleil (une surface enneigée réfléchit 80 % du rayonnement solaire contre 10 %, par exemple, pour une forêt), elles se réchaufferont à leur tour, participant un peu plus au déséquilibre climatique mondial.
Corail en péril en Australie
Symbolisant, année après année, l’état de sécheresse sévère que pourraient connaître certaines régions du monde si le réchauffement se poursuit au rythme actuel, l’Australie est emblématique d’un autre de ses effets : le blanchissement des coraux suite à l’élévation de la température de la mer. La Grande Barrière de corail a perdu la moitié de ses coraux en trente ans. Le réchauffement n’est pas seul en cause : les activités agricoles intensives le long de la côte et l’expansion des ports industriels pour l’exportation du charbon ont également un impact sur la qualité des eaux, et donc sur la Grande Barrière de corail.
L’acidification des océans testée en mer
Afin d’étudier l’impact de l’acidification des océans – due à une absorption croissante de CO2 – sur la faune et la flore marines, une expérience inédite a été réalisée entre mai et novembre 2014 en mer Méditerranée (projet eFOCE) : des chercheurs ont « piégé » au fond de la mer, dans des boîtes reproduisant différentes conditions de pH, des organismes marins et ont suivi leur développement. Les résultats montrent que les posidonies (plantes aquatiques) sont tolérantes au niveau de pH prévu pour la fin du siècle (-0,3 unité pH).
La sécurité alimentaire en question
Aujourd’hui, 805 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde. Avec le dérèglement climatique, on pourrait en compter 600 millions de plus d’ici à 2080, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). On s’attend en effet à une baisse de productivité des grandes cultures (blé, riz, maïs…) et à une augmentation des pertes de cultures causées par des évènements météorologiques extrêmes (cf 5e rapport du Giec). Avec un risque de hausse des prix alimentaires, qui rendra encore plus difficile l’accès des populations les plus pauvres à la nourriture.