Paludisme
Depuis dix ans, la mortalité due au paludisme a baissé de moitié partout dans le monde grâce à la prévention (utilisation de moustiquaires imprégnées, pulvérisations...) et la prise de nouveaux médicaments (ACT) composés d'une combinaison de molécules dont l'artémisinine. La parasitologiste Dominique Mazier (Inserm) explique les recherches en cours sur un médicament qui réveillerait le parasite dormant dans le foie pour mieux le tuer, un "wake and kill" radical !
Un épisode de la série "Grandes tueuses"
Réalisation : Gérard Lafont
Production : Etat d'Urgence Production, MSF, Inserm, DNDi, Institut Pasteur, Fondation Mérieux, CANOPE, Universcience
Année de production : 2015
Durée : 15min21
Accessibilité : sous-titres français
Paludisme
PALUDISME
1. L’Histoire
On dit du paludisme qu’il est aussi vieux que le monde… Un papyrus, retrouvé à Louxor 1500 ans avant notre ère évoque une infection due à un parasite, qui ressemble fort à une crise de paludisme. Une analyse ADN du corps de Toutankhamon a révélé qu'il souffrait de paludisme au moment de sa mort.
On pensait que cette maladie provenait des zones marécageuses et des zones où l’air été vicié, d'où son nom de paludisme dérivé de l’ancien français 'palud’ qui veut dire marais. Le mot malaria, l'autre appellation du paludisme, veut dire « mauvais air » en italien.
Le parasite a longtemps sévi en Europe où il a fait des ravages comparables à ceux qu’il cause en Afrique aujourd’hui. Au XVIème siècle, débutent la conquête du Nouveau Monde et le commerce d’esclaves. Les européens, qui embarquent dans les cales de leurs vaisseaux les esclaves africains, importent sans le savoir le paludisme aux Amériques.
En 1630, le jésuite espagnol Don Francisco Lopez découvre les vertus curatives de l’écorce d’un arbre du Pérou, le quinquina, déjà utilisé par les indiens pour soigner les fièvres. La précieuse « poudre des jésuites » est ramenée en Europe.
En 1820, deux pharmaciens français, Pelletier et Caventou, isolent la molécule de la quinine à partir des écorces de quinquina.
En 1880, le médecin français Alphonse Laveran est le premier à observer au microscope, dans les globules rouges des malades, le parasite du paludisme, le falciparum.
En 1897, le britannique Ronald Ross fait lui aussi une découverte capitale : c’est l’« anophèle », le moustique qui transmet le parasite à l’homme.
Jusqu’au début du XXème siècle, la quinine reste l’unique médicament antipaludéen. La chloroquine, et d’autres antipaludéens de synthèse arrivent au début des années 1940. Parallèlement, pour éliminer l’anophèle on pulvérise massivement des insecticides comme le DDT. En 1955, forte de ces premières victoires contre la maladie, l’OMS lance le programme mondial d’éradication du paludisme. Mais le parasite se défend et devient de plus en plus résistant aux traitements. En 2001, l’OMS préconise une nouvelle thérapie, les ACT, qui consiste à combiner une vieille molécule déjà utilisée par les chinois du IV siècle, l’artémisinine, avec un ou deux autres antipaludéens. Les ACT sont d'une grande efficacité mais déjà, comme un éternel recommencement, des résistances à ce nouveau traitement sont apparues en Asie.
2. La géographie
Le paludisme ou malaria, responsable de plus de 500 000 morts par an, est la première maladie parasitaire au monde. En 2013, 198 millions de personnes ont été infectées, la plupart dans les pays pauvres.
Le paludisme touche près d’une centaine de pays, particulièrement dans les zones tropicales.
A elle seule, l’Afrique concentre 90% des cas de paludisme, loin devant l'Asie et le Proche et Moyen-Orient.
Avec plus de 20 millions de cas, Le Nigéria et la République démocratique du Congo paient le plus lourd tribut.
Depuis 10 ans, la mortalité due au paludisme a baissé de moitié dans le monde, et en particulier en Afrique. Plusieurs facteurs expliquent ces progrès : la prévention (distribution de moustiquaires, pulvérisation d’insecticide, traitement préventif des femmes enceintes) et surtout le traitement avec l’arrivée de nouvelles combinaisons de molécules, appelées ACT, basées sur l’artémisinine issue d’une plante chinoise.
Même si le nombre d’enfants infectés a lui aussi diminué de moitié, les enfants restent les principales victimes de la maladie. Chaque minute, un enfant de moins de 5 ans meurt du paludisme.
En 2013, 79 des 88 pays où le parasite sévit ont adopté dans leurs programmes de santé les derniers médicaments en date, les ACT.
L’accès au soin et le dépistage est un véritable enjeu de la lutte contre la maladie. En Afrique, 70% des malades pourraient être traités avec les antipaludéens ACT distribués dans les établissements publics. Mais comme la majorité des enfants qui souffrent de fièvre ne voient jamais de médecin, seulement 26% d’entre eux ont reçu un ACT en 2013.
Mais les ACT, combinaisons d’artémisinine avec une ou deux autres molécules, se heurtent comme ses prédécesseurs à l’adaptation du parasite. Récemment des cas de résistance à ces ACT sont apparus au Cambodge, Laos, Thaïlande, Myanmar et Vietnam.
3. Le corps
L’anophèle, moustique qui prolifère en zone tropicale, n'est que le moyen de transport, le vecteur, du paludisme. Le véritable coupable, c'est le parasite qu’il transmet, le plasmodium.
La femelle anophèle pique la nuit pour se nourrir de sang humain. Si sa victime est déjà infectée, le moustique aspire avec le sang de nombreux parasites. Une fois dans l’estomac du moustique, les parasites se reproduisent, se divisent et migrent vers les glandes salivaires... à l’occasion d’une piqûre, les parasites infesteront le sang de leur nouvelle victime.
Dans le corps humain, le plasmodium entame une phase de multiples mutations: de sporozoïte, il devient trophozoïte, puis schizonte, puis mérozoïte et enfin gamétocyte... Toutes ces métamorphoses lui permettent d'échapper aux barrages dressés par le système immunitaire de ses victimes.
La première destination du parasite, c’est le foie que le parasite atteint via le sang. Ici, aucune réaction du corps humain. Le parasite peut alors tranquillement infecter les cellules du foie et se multiplier... Jusqu'au jour où les cellules du foie éclatent et libèrent massivement les parasites dans le sang provoquant les premiers symptômes, des frissons.
Les parasites contaminent ensuite les globules rouges, s'y multiplient rapidement, et les font éclater. Une nouvelle génération de plasmodium contamine le sang et pourront être aspirés à leur tour par un nouveau moustique. Le cycle est bouclé.
L’éclatement des globules rouges provoque un accès de fièvre de quelques heures caractéristique du paludisme. Frissons, chaleurs et sueurs se succèdent. Ces poussées de fièvre se répètent tous les deux ou trois jours.
Dans le cas du plasmodium falciparum, le paludisme peut atteindre d'autres organes, comme le cerveau et évoluer vers des formes sévères voire mortelles.
Les populations qui ont contracté plusieurs fois la maladie deviennent partiellement immunisées. Les jeunes enfants dont les défenses immunitaires sont en construction et les femmes enceintes dont le système immunitaire se modifie lors de la grossesse, risquent le plus un paludisme grave et la mort.
4. Les soins
Pour dépister le paludisme, il suffit de déposer sur une bandelette une goutte de sang prélevée au bout du doigt. Avec ce test rapide, les médecins peuvent agir immédiatement.
Plus précis, mais plus complexe, le diagnostic au microscope permet d'identifier précisément le type et le nombre de parasites.
S’il n’est pas traité dans les 24 heures, le paludisme à falciparum, le plus courant, peut évoluer vers une infection sévère voire mortelle. Mais le parasite résiste généralement aux traitements basés sur une seule molécule.
Le traitement le plus efficace est une combinaison de plusieurs molécules, à base d’artémisinine, principe actif extrait d'une plante connue depuis plus de 2000 ans par la médecine chinoise.
Le fait de combiner un dérivé de l'artémisinine à une autre molécule permet de mieux contrer le parasite. On appelle ces combinaisons les ACT. Elles sont utilisées depuis le début des années 2000.
Déjà des résistances ( Synthé à l’écran)
De manière générale, les ACT sont bien tolérées, réduisent la transmission et permettent une guérison en trois jours.
Pourtant depuis quelques années, une tendance inquiétante se manifeste : l'apparition de cas de paludisme résistant aux dérivés de l'artémisinine. Ces cas ont été signalés pour l'essentiel au Cambodge, en Thaïlande et au Myanmar. La résistance aux ACT pourrait être une grave menace dans les régions endémiques car aucun autre antipaludéen ne sera disponible avant au moins 5 ans.
La prévention du paludisme passe essentiellement par l'emploi d’insecticides dans les maisons et l’utilisation de moustiquaires imprégnées. Depuis 2011, la chimio-prévention du paludisme saisonnier pour les enfants âgés de trois mois à cinq ans est également reconnue comme un moyen efficace au Sahel. Le même type de chimio-prévention, administré aux femmes enceintes, protège mère et enfant.
MARIANA (à l’écran)
Mes enfants ont souvent le paludisme. Le paludisme donne de la fièvre. L’enfant a le corps brûlant, puis il a des convulsions, des vomissements et de la diarrhée. Nous sommes venus ici pour chercher le médicament pour la prévention du paludisme. Nous avons réalisé l’importance de ce traitement. C’est pourquoi il y a tellement de gens qui viennent le chercher.
Grâce à une combinaison de médicaments antipaludéens, efficaces 28 jours et distribués une fois par mois, les cas de paludisme diminuent de 80%.
5. Le futur
Pr Dominique Mazier, INSERM
Dans notre unité de recherche INSERM nous travaillons essentiellement sur le paludisme et sur le paludisme nous travaillons actuellement plus spécifiquement sur les phases du paludisme qui se passent avant l'arrivée du parasite dans le sang, c'est en effet dans le sang qu'il est responsable de la pathologie voire de la mortalité. Notre idée c'est d'identifier les médicaments, identifier des vaccins qui empêchent le parasite de pénétrer à l'intérieur du foie, qui l'empêchent de se développer dans le foie ou qui l'empêchent de sortir du foie. Pour faire ce type d'études nous travaillons avec un insectarium dans lequel nous élevons des anophèles femelles parce que seul l'anophèle femelle est responsable de la transmission du paludisme. Nous récupérons les parasites qui sont dans les glandes salivaires de ces anophèles et nous les utilisons pour infecter soit des cultures in vitro qui miment le foie soit infecter ce que nous appelons des souris humanisées, ce sont des souris qui sont très immunodéprimées et donc à qui nous arrivons à greffer des cellules humaines. L'essentiel des recherches qui sont menées ont pendant très longtemps concernées le plasmodium falciparium parce que plasmodium falciparium on guérit ou on meurt, par contre on peut être infecté par d'autres espèces plasmodiales par exemples plasmodium vivax. Plasmodium vivax on ne meurt pas ou très peu. On est très malade mais on ne meurt pas. Par contre on fait des mois, des années après une piqure infectieuse on peut faire une rechute. Et ces rechutes sont liées au fait que quand le parasite entre dans le foie il peut soit se multiplier comme plasmodium falciparium soit il peut rester quiescent à l'intérieur du foie, il dort, il est en hypnose, d'ou son nom d'hypnosoÏte. Et pour des raisons que nous essayons de comprendre à un moment donné, des mois, des années après il se réveille, il se multiplie et il va dans le sang où il est responsable de la pathologie. Nous essayons d'identifier les médicaments qui peuvent tuer ce parasite qui dort. Nous avons à notre disposition uniquement la primaquine qui est un médicament très efficace mais qui est toxique en particulier chez les sujets qui sont déficients à certaines enzymes. En Afrique, jusqu'à 30% des sujets sont déficients à cette enzyme. Nous avons une autre approche qui a été découverte tout à fait par hasard, c'est le fait que nous avons identifié des médicaments qui sont capables de réveiller ce parasite qui dort. Et donc on réveille le parasite et il se multiplie. Et nous avons à notre disposition plusieurs médicaments capables de détruire le parasite qui se multiplie. Donc l'idée c'est le "wake & kill", on réveille le parasite et dès qu'il se multiplie on tape dessus.
Réalisation : Gérard Lafont
Production : Etat d'Urgence Production, MSF, Inserm, DNDi, Institut Pasteur, Fondation Mérieux, CANOPE, Universcience
Année de production : 2015
Durée : 15min21
Accessibilité : sous-titres français