La science, évidemment, est quelque chose d'extrêmement fondamental mais toute la science n'est pas forcément bonne à prendre. Le CCNE est le premier comité national d’éthique qui a été créé.
À la suite du premier bébé par fécondation in vitro, Amandine, à l'hôpital de Clamart, il y avait eu une série d'interrogations en disant « on est en train de changer complètement la procréation ». Donc il a été créé un an après. Finalement, pour s'interroger sur les grandes questions éthiques que posaient les progrès de la science.
Un comité d’éthique, pourquoi ?
Bien sûr, les grandes valeurs éthiques, elles existent depuis que le monde existe. Mais il y a eu une repensée de la bioéthique moderne. Juste après-guerre, avec le deuxième procès de Nuremberg que les gens ne connaissent pas forcément, qui était le procès des médecins nazis qui avaient fait des expérimentations chez les personnes juives qui étaient dans les camps de concentration.
Et à la suite de ça, on s'est interrogé en se disant mais dans le fond, la médecine, la science, peut conduire à une forme d'atrocités au nom de la science. Et donc la science, évidemment, est quelque chose d'extrêmement fondamental - je suis moi-même d'origine scientifique - mais toute la science n'est pas forcément bonne à prendre.
Et il y a donc des questionnements éthiques qui peuvent se poser.
Quelles sont les missions du CCNE ?
Le CCNE, il a quatre grandes directions en gros. La première, c'est s'interroger justement sur ces avancées scientifiques. Et qu'est ce qui peut être retenu, non retenu...
La deuxième, le deuxième point, c'est les conséquences de la science sur la société. La société française n'est pas la même qu'il y a cinquante ans.
Elle vit différemment, elle s'est emparée de choses de façon différente. Par exemple la question de la fin de vie se pose de façon différente maintenant qu'il y a une cinquantaine d'années, où l'immense majorité des gens décédaient à domicile et maintenant l'immense majorité des gens décèdent à l'hôpital, dans un milieu médicalisé. Donc ce sont de nouvelles questions qui se posent.
La troisième, troisième point et qui est un point très fort en ce moment pour le CCNE, c’est relier la santé humaine dans un contexte de l'environnement. C'est plus considérer uniquement l'homme comme une partie de l'univers, mais dans une vision beaucoup plus globale.
Et puis enfin, le quatrième point. On a une révolution qui est devant nos yeux que vous utilisez tous les jours tous. C’est le numérique et l'intelligence artificielle qui est en train de révolutionner le domaine de la santé. Donc ces quatre grands axes sont les axes de réflexion où se posent des grandes questions du CCNE.
Qui sont les membres du Comité d’éthique ?
Actuellement, il est composé de quarante-cinq membres. Pas seulement de médecins et de chercheurs ou de scientifiques. Il y a aussi des juristes venant du Conseil d'État, de la Cour de cassation, de professeurs de droit. Il y a bien sûr aussi des personnes venant des sciences humaines et sociales, des anthropologues.
Et puis il y a maintenant des représentants de la société civile. Depuis la dernière loi de bioéthique, il y a maintenant deux ans, de 2021, on a six représentants de la société civile. Et c'est un monde qui est un peu particulier puisqu'il est disparate, il est hétérogène. Et je dis que le fonctionnement du CCNE, c'est un exercice d'intelligence collective. On pose une question. On n'est pas forcément toujours d'accord sur les premiers éléments de la réponse. On s'écoute et puis ensuite, on construit éventuellement une réponse ou en tout cas, on pose les difficultés que peuvent poser cette avancée scientifique
Existe-t-il une éthique universelle ?
Dans les grands enjeux éthiques mondiaux, est-ce que tous les pays sont au même niveau ? La réponse est non.
Je considère que le monde de l'éthique, il est dans trois grands axes. Il a d'un côté le milieu anglo-saxon avec les États-Unis, qui est très particulier, où l'économie reste là où, y compris dans les domaines de l'éthique au cœur du débat.
On a une sorte de vision européenne, donc portée plutôt par la France, mais pas que. D'autres grandes nations européennes, les Anglais, les Allemands sont aussi très partants de finalement être solidaires, en particulier vis-à-vis des populations les plus faibles et les plus fragiles.
Et puis il y a un troisième bloc qui est un bloc alors … très particulier mais qui avance aussi au niveau scientifique de façon majeure et en particulier je pense à la Chine. Et je suis en effet assez critique vis-à-vis de ce qui se passe en Chine. Par exemple, on vend les reins de de condamnés à mort, on vend les reins de condamnés à mort pour des transplantations. C'est à dire la notion du corps et de l'indépendance du corps, elle est complètement bafouée
Le citoyen dans tout ça ?
La démocratie en santé, c'est un triangle sur lequel il y a à la fois les sachants, les experts, les médecins, les scientifiques, l'autre coin du triangle. Il y a le citoyen. Et puis en haut du triangle, il y a le politique qui va décider. Et si on reste sur des sujets aussi complexes que la santé uniquement avec une décision politique, ça ne marche pas, on le voit.
Il faut qu'il y ait à la fois une expertise, ça tout le monde le comprend. Mais aussi la vision des citoyens, c'est à dire que les citoyens ont leur mot à dire sur où va être tel hôpital ? Quelles sont les conditions d'accueil de la santé ? Qu'est ce qu’ils réclament autour de la santé ? Et le CCNE, et moi je le suis en particulier, très partants pour porter cette vision de la démocratie en santé avec ce triangle que j'évoquais, c'est à dire une place aussi pour la voix des citoyens.
On s'appuie en particulier depuis les Etats généraux de 2018 sur une série de comités d'éthique / dans chacune des grandes régions de France qu'on appelle les espaces éthiques régionaux. Et donc on s'appuie sur ce réseau pour à la fois poser des questions, faire des débats et nous ramener aussi de l'information.
Quels grands sujets aujourd’hui ?
On a rendu des avis à la rentrée de 2022. L'un sur la fin de vie et sur la question toujours récurrente des conditions dans lesquelles doivent se passer la fin de vie. On a resouligné que la loi Claeys Leonetti était insuffisamment appliquée, insuffisamment connue, à la fois des familles, à la fois des citoyens, à la fois des médecins eux-mêmes et on a ouvert entre guillemets, une légère porte / si le législateur souhaite refaire une loi sur des conditions éthiques pour aboutir à une aide au suicide assisté.
On est à plus de deux cents débats, plus de trente-cinq, mille personnes qui sont venues dans ce débat sur la fin de vie pour s'informer sur tout et on verra ensuite en fonction des résultats de la convention citoyenne et puis des décisions politiques, il y aura un temps politique après, pour savoir s'il y a une nouvelle loi sur la fin de vie. Donc voilà un premier exemple de comment à partir d'une réflexion éthique, Cette réflexion éthique et cette opinion ou cet avis du CCNE peut conduire à une éventuelle évolution de la loi.
Un deuxième avis qui est sorti au mois d'octobre était sur les enjeux éthiques de la reconstruction du système de santé. On sait tous que, après la période de covid notre système de santé en France et fatigué, il est dans un état de difficultés au niveau des soignants, du fonctionnement des hôpitaux / ça pose une série de questions bien sûr d'organisation, de financement, de remettre de l’input dans l’ensemble du système. Mais ça pose aussi un certain nombre de questions de nature éthique. Et en particulier de se dire pourquoi est fait le système de soins ? Est ce qu'il est fait pour être rentable ou est ce qu’il est fait surtout pour délivrer de la santé ? Et délivrer de la santé, c'est évidemment de la technique, mais c'est aussi du temps passé. C'est redonner de la notion et de la valeur au temps. le temps que peut avoir une infirmière pour discuter avec son patient ou un médecin. Et cette notion du temps, sur lequel on a beaucoup insisté est un élément fondamental dans la constitution du système de santé. Cet avis a été pris largement en compte.
Et les autorités ont considéré en janvier qu'il fallait aller vers cette direction. Et on est actuellement dans la reconstruction d'un système de santé qui devrait s'appuyer sur un certain nombre de valeurs.
On est purement consultatif, c'est à dire que nos avis ne sont que consultatifs. Mais / c’est difficile aussi d'aller contre l'avis du CCNE.
Santé et environnement, l’enjeu de demain ?
C'est un sujet difficile où le monde à la fois de la santé, le monde de l'éthique et le monde de l'environnement sont des mondes qui ne se connaissent pas bien. Ils n'ont pas l'habitude de réfléchir, de travailler ensemble.
La santé consomme entre guillemets, est un fournisseur aussi, par exemple de carbone et donc une santé verte peut commencer déjà à être un peu envisagée.
Mais vous voyez la révolution que ça représente. Se dire que finalement un hôpital doit penser non seulement à être un outil de soins, ce qu'il est, un outil d'accueil pour les patients, mais aussi peut-être à réduire la détérioration qu'il entraîne pour l'environnement.
On est là sur des sujets nouveaux, très difficiles, sur lequel on n'a pas encore émis