1 Quand Carl-Paul Goerz et Ottomar Anschütz conçoivent leur nouvel appareil photographique, c'est pour des utilisateurs mondains, avides des dernières nouveautés. Pourtant, l'appareil restera dans l'histoire comme celui des premiers photoreporters et sa technologie de pointe inspirera les artistes. 3 innovations font de cet appareil, l'un des plus remarquables de son époque. L'obectif comporte plusieurs lentilles. C'est un des meilleurs du moment, il est l'invention de Carl-Paul Goerz, fabricant réputé d'appareils photographiques. Le système klapp : des tendeurs en métal rendent aussi possible l'ouverture et la fermeture de soufflet. Ce système très pratique, mille fois copié et toujours en usage de nos jours, permet de réduire le volume de l'appareil. Comme l'annoncent fièrement les inventeurs, le premier appareil photographique "de poche" est né. Le bouton permet de régler la tension d'un ressort caché dans le corps de l'appareil et donc de faire varier finement le temps d'exposition des clichés. Un ressort met en mouvement l'obturateur à rideau inventé par l'Allemand Ottomar Anschütz quelques années plus tôt, en 1888. Il permet des temps de pose incroyablement courts pour l'époque. Quand on appuie sur le déclencheur la fente défile rapidement devant la plaque. Plus la fente est fine, plus le temps d'exposition est court. On descend ainsi jusqu'au millième de seconde. L'exposition et la netteté peuvent aussi être contrôlées avec le diaphragme de la lentille. Un viseur extérieur rudimentaire permet de cadrer, plus ou moins bien, ce que l'on veut photographier. Grâce à l'obturateur à rideau. L'appareil permet des photographies jusqu'alors impossibles. A 1/1000e de seconde, les mouvements sont figés et l'on obtient ces photographies incroyables pour l'époque. Alors que la pellicule souple existe déjà, l'appareil de Goerz-Anschütz utilise encore des plaques photographiques en verre. Le temps de préparation de l'appareil est assez long. Il faut régler la largeur de la fente du rideau puis introduire la plaque dans l'appareil et retirer le cache qui la protégeait de la lumière. L'appareil est prêt. Prendre la photo est ensuite un art... ou un coup de chance. Il faut estimer la distance de l'objet à photographier, régler le diaphragme et la vitesse d'obturation. En 1911, posté dans une allée du bois de Boulogne, le jeune Jacques-Henri Lartigues s'exerce à photographier les passantes. A la main, il tient un appareil équipé d'un obturateur à rideau. Il écrit dans son journal. "C'est là que je suis à l'affût, assis sur une chaise en fer, mon appareil bien réglé. Distance : 4, 5 mètres. Vitesse : fente du rideau 4 millimètres. Diaphragme : cela dépendra du côté par où elle arrivera. je sais très bien juger la distance à vue de nez, ce qui est moins facile, c'est de me placer exactement où il faut pour qu'elle avance le pied juste au moment de la mise au point correcte." Une photo est alors autant une prouesse technique qu'une œuvre d'art. L'appareil de Goerz-Anschütz se charge avec des plaques au gélatino-bromure d'argent apparu dans les années 1870. Très sensibles, elles autorisent des temps de pose très courts, une propriété que l'appareil de Goerz-Anschütz exploite totalement. De plus, elles sont faciles d'utilisation : on les achète prêtes à l'emploi et le tirage se confie à un professionnel. La photographie devient un loisir pour tous. Tous, c'est-à-dire les bourgeois argentés et oisifs. Le tourisme naît en même temps, on n'imagine plus de voyager sans sa caméra photographique. Léger, maniable, simple d'utilisation, le Goerz-Anschütz devient aussi l'outil favori d'un métier qui est en train de naître, celui de photoreporter. En 1902 en France, tous les journaux à grand tirage s'équipent et commencent à accrocher des photographies en une. L'Excelsior, Le Matin, Le Petit Journal : tous s'y mettent, cela plaît au public, les ventes augmentent. Le photoreportage devient progressivement un style d'information en soi. Le Goerz-Anschütz sera l'un des premiers témoins photographique du XXe siècle. Jusqu'à ce qu'arrive en 1925 un nouvel appareil : le Leica. Adopté immédiatement par les photoreporters, le Leica prendra la relève et captera les moments les plus dramatiques du XXe siècle.