Quand l'épidémie de coronavirus a commencé, les courbes se sont faites menaçantes. Il fallait faire quelque chose. "Lorsque cette vague épidémique est arrivée, j'ai été contacté par le ministère de la Santé pour essayer de réfléchir à déployer rapidement une solution digitale, autrement dit, une application, pour aider à la prise en charge de cette épidémie. Donc, c'était un peu un apprentissage sur le tas et en quelques heures, on a réuni à peu près une cinquantaine d'experts, parmi nos amis, c'est vraiment une application citoyenne, et on s'est dit : on va essayer de faire une application pour que les citoyens qui sentent qu'ils ont des symptômes, puissent être pris en charge de la meilleure façon qui soit et n'aient pas tous à appeler le 15 : dès que quelqu'un avait de la fièvre ou une toux, il appelait le 15, de sorte que lorsqu'on avait un infarctus, on pouvait attendre deux à trois heures avant d'avoir quelqu'un qui décroche. Et finalement, cet outil dit "de triage", en tout cas des symptômes, a été développé en l'espace d'une semaine là où d'habitude on met un an." L'utilisation est très simple. Il suffit de répondre à des questions. Selon vos symptômes et vos antécédents, l'application vous conseille : soit restez chez vous et surveillez-vous, soit consultez votre médecin, ou trouver en un sur la plateforme de téléconsultation, soit, en cas de symptômes graves, appelez le 15 pour être pris en charge par le Samu. "Oui, c'est assez simple, mais ça vous donne une prise en charge précise. Il n'y a pas de flottement, "peut-être bien que oui", "peut-être bien que non". soit on est auto-surveillé, soit on appelle le médecin généraliste ou on a une plateforme de téléconsultation, soit on file aux urgences après un appel au 15. Et puis surtout, ça permis de réduire les appels au 15 inutiles, cela les a même divisé par huit, donc évidemment, cela a évité la saturation du 15 lors de cette vague d'épidémie." Pas mal, et comment ça marche ? "On a cherché tous ensemble les publications des Chinois, qui nous indiquaient les premiers symptômes à surveiller. On avait listé plein de symptômes que les utilisateurs, en se connectant à internet, pouvaient donner et on a construit un algorithme qui permet d'orienter, en fonction des symptômes, des antécédents des utilisateurs, le tout gratuitement, tout le monde a travaillé gratuitement dans cette affaire pour mettre cet outil à disposition en une semaine et on est arrivé maintenant à 14 millions d'utilisateurs, ce qui est l'application de loin la plus utilisée en France et même en Europe, et ce qui est important, c'est qu'elle est anonyme et sans tracking." Il n'y a pas de recueil de données personnelles. La confidentialité et la sécurité sont donc garantis, ce qui évacue les principales craintes des citoyens. Finalement, les gens se sont vraiment pris au jeu, ont eu confiance, et c'est quelque chose qui a beaucoup mieux fonctionné que les applications de tracking, car là aussi, il n'y avait pas de tracking. Il y a eu surtout des résultats pertinents qui ont été publiés dans des revues scientifiques internationales, qui ont prouvé son efficacité. On pouvait anticiper de 10 jours le pic des hospitalisations à partir du pic des utilisateurs qui déclaraient avoir une perte d'odorat, tout simplement. Donc un service rendu, mais en échange, une donnée de santé qui a été utilisée à des fins de recherche, tout en restant anonymisée et sans tracking. Ce type d'outil peut être utilisé à très large échelle, très rapidement, alors que jusqu'à présent, on pensait que les applications, c'était un peu du gadget, y compris pour calculer sa taille, son poids, est-ce qu'on est gros, est-ce qu'on n'est pas gros. Eh bien non, sur des sujets très importants, très sérieux, les gens font confiance à ce type d'outil. Ce que ça apporte aussi, c'est que si on a une autre vague épidémique ou avec une autre maladie, ou le même virus mais qui muterait et donnerait d'autres symptômes il sera très facile de refaire la même chose. On pourra très vite s'adapter." Tout aussi simple, une autre application répond à un besoin immédiat du public. "Tout est parti d'un tweet d'Olivier Véran, le ministre de la Santé, un samedi matin, disant : attention, il y a les premières données qui font penser que lorsqu'on a les symptômes de covid-19, il ne faut pas prendre certains médicaments qui sont les anti-inflammatoires et les corticoïdes parce qu'il y a des données qui commencent à montrer que ça pourrait aggraver les symptômes. Quand j'ai vu ça, j'ai su tout de suite que certes, c'était une bonne information mais que pour beaucoup de gens, c'était des mots qui étaient compliqués : anti-inflammatoires et corticoïdes. Tout le monde ne sait pas ce que ça veut dire, et que donc ça allait potentiellement créer deux choses : la première c'est que des gens allaient continuer à prendre ces médicaments parce qu'ils n'avaient pas la bonne information, et la deuxième, c'est que des patients comme par exemple des asthmatiques allaient potentiellement paniquer et arrêter leur traitement de fond et que ça pouvait causer d'autres problèmes comme des crises asthmatiques. Donc, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose de très très rapide, de très simple et donner cette information à tout le monde, et du coup, en moins de 72 heures, on a bâti ce site en collaboration avec trois entités publiques qui ont été capables de me répondre pendant le week-end, de se mettre en ordre de bataille. Le tweet était le samedi matin, le lundi à 14 heures le site était live. Quelques heures plus tard, il avait déjà fait 100 mille connexions." Si vite ? Beaucoup de youtubeurs rêverait d'un tel succès ! Ça fait des années qu'on travaille sur ces sujets, donc techniquement, on avait toute l'expertise, toutes les briques technologiques étaient déjà prêtes. La base de notre technologie, c'est d'avoir des algorithmes de traitement automatique du langage qui passent en permanence sur les différents documents qui décrivent le bon usage du médicament, donc on va avoir une base de connaissances qui sera toujours à jour. C'est parce qu'il y avait ce socle fondamental qu'on a pu aller très vite." Une autre clé de ce succès est la simplicité. Il suffit d'entrer le nom du médicament, de cliquer deux cases pour préciser sa prescription et son usage, et hop ! Vous savez immédiatement en cas d'infection, si son utilisation comporte un risque, si vous devez vous rapprocher d'un médecin ou d'un pharmacien ou si pas de problème, vous pouvez prendre ce médicament. "Donc, c'est très simple, on rentre le médicament, deux clics et on a la réponse. Il y a un respect de la confidentialité qui est total, puisqu'on ne collecte, littéralement, aucunes données personnelles. On ne sait absolument pas qui utilise le site. Tout ce que l'on sait, c'est quels sont les médicaments qui sont cherchés dans la plateforme. Donc, on a pu avoir des informations et ça a servi aux pouvoirs publics pour adapter les messages et faire de la prévention. Ce site a fait plus d'un million de visites et quasiment 800 mille analyses de médicaments. Donc, on a vraiment permis de désengorger les appels au Samu, on a permis de désengorger également les numéros des médecins généralistes, donc, ça a eu un impact logistique fort et le deuxième impact, c'est qu'il y a eu plusieurs dizaines de milliers d'alertes qu'on appelle rouges, émises pour dire : non, ne prenez pas ce médicament, il est à risque d'aggraver vos symptômes, et là, on ne peut pas le quantifier, mais on peut imaginer aussi qu'on a évité des hospitalisations et qu'on a évité que pour des patients, ça s'aggrave. C'est super, parce que c'est un succès collectif, avec une collaboration très saine public-privé et ça a très concrètement permis d'aider un peu moins d'un million de Français, donc je trouve que c'est que du positif, c'est super, voilà, moi je suis ravi ! On parlait du numérique en santé depuis des années déjà . Lors de la crise qu'on est encore en train de traverser, on a pu voir que comme prévu, il y avait des choses qui ne servaient à rien, mais ça ce n'est pas une surprise, et il y avait des choses qui ont énormément servi. On peut parler de la télémédecine aussi qui a été un recours énorme pour des millions de Français, donc on voit bien qu'il y a une utilité réelle de ces services aujourd'hui qui ne sont pas là pour remplacer, en compte aucun cas, les professionnels de santé . Je pense que c'est de toute façon le futur et donc moi, je milite pour que ce soit co-construit entre patients, professionnels de santé et industriels, pour pas qu'on se retrouve avec justement des solutions 100% technologiques qui seraient un petit peu déconnectées des vrais besoins."