- Les aventures scientifiques sont souvent des histoires de rencontres. À la base, je suis ingénieur aérospatial, formé en Allemagne, et j'ai passé... Toute ma vie, je voulais aller vers l'espace. J'ai été avant dans le domaine du nucléaire où je faisais mes études aux Etats-Unis, au MIT, et mon co-directeur à Oregon National Laboratory voulait un peu... rediriger ma recherche vers les armes. Et ça ne m'intéressait pas trop. J'ai rencontré Abdul Barakat qui m'a convaincu, qu'au lieu d'aller vers l'espace, c'était très intéressant aussi de regarder le corps humain, de travailler sur les maladies cardiovasculaires.
- Donc nous, ce qui nous intéresse est le rôle des facteurs mécaniques dans les vaisseaux, dans le développement et la progression des maladies vasculaires. Donc lui il m'a amené à l'école Polytechnique pour faire une thèse dans le biomédical sur les stents. Les stents, c'est des grilles qu'on met dans les artères pour les déboucher à la suite de l'athérosclérose. L'athérosclérose est provoquée par le dépôt de molécules de lipides, protéines ou globules sanguins dans la paroi artérielle, qui finissent par boucher l'artère ou la font éclater et forment un caillot. Un stent, introduit dans l'artère, l'élargit de l'intérieur. Le premier symptôme, c'est une mort subite. Dans le monde occidental, un tiers ou 35 % des décès sont dus à l'athérosclérose.
C'est pour répondre à ces besoins qu'est né Sensome, à deux pas du LadhyX et de l'Institut Polytechnique.
- On s'est posé la question de détecter ces complications avant qu'il soit trop tard, d'une façon très précoce. L'idée était de fabriquer un stent intelligent, équipé avec des capteurs d'impédance pour mesurer et quantifier la composition des tissus biologiques. Maintenant, quand on a commencé à travailler sur ça, on a fait beaucoup d'avancement, mais on a trouvé que c'est quand même un problème très très ambitieux et très compliqué. Donc on a commencé à réfléchir à d'autres applications possibles pour les mêmes capteurs. Et c'est là qu'on est tombé sur l'application de la même technologie de capteurs d'impédance pour les AVC. Donc là, la différence, c'est qu'au lieu de mettre les capteurs sur un stent, on les met sur un guide.
- Donc le guide, c'est quoi? C'est un petit fil de fer de 300 microns de diamètre qui permet au médecin de naviguer dans la tortuosité des artères cérébrales. Là, on a un modèle d'artère cérébrale en silicone dans lequel on a mis tout un jeu de micro cathéters et de cathéters que le médecin utilise typiquement dans ce genre de procédure. Le médecin va courber la pointe du guide pour pouvoir naviguer dans les bifurcations, choisir où il va en poussant, en tournant... et amener le capteur jusqu'au caillot pour pouvoir l'analyser. Donc le capteur, il est juste ici, presque à l'extrémité du guide, et au moment où il va traverser le caillot qui est à l'origine de l'AVC, il va pouvoir analyser la composition du caillot. Et l'algorithme va lui dire la composition locale du caillot qui est en train de bloquer l'artère. Et donc là, l'algorithme nous a dit que c'était de la fibrine. Quand c'est sur des patients que le guide est utilisé, le médecin fait ça dans une suite d'angiographie. C'est une salle avec des rayons X en 2D ou en 3D pour que le médecin puisse naviguer et voir où il est en train de naviguer, en 3D en live dans le patient. Ça va permettre au médecin de comprendre la composition du caillot. Et un jour peut être, d'aider le médecin à choisir la méthode de thrombectomie la plus adaptée pour ce patient. Le traitement traditionnel de l'AVC est chimique. Une injection de TPA dans le sang va dissoudre le caillot. Mais ce traitement n'est pas compatible avec tous les patients et il doit être injecté au plus tard 4 h après l'AVC. Heureusement, deux autres approches sont apparues. Elles ne sont pas chimiques mais mécaniques. La première utilise un cathéter, un fin tuyau pour aspirer le caillot. L'autre méthode utilise un stentriever, une espèce de stent qui va capter le caillot et le retirer. Le choix entre ces deux méthodes devrait dépendre de la composition du caillot. Et il faut choisir le meilleur dispositif aussi vite que possible. Parce que le temps, c'est des neurones. Et aujourd'hui on n'a aucune idée, par les systèmes d'imagerie, de la composition du caillot. Donc nous on pense qu'avec ce guide intelligent, on a la possibilité de connaître la composition et donc de guider ou d'aider le médecin dans son choix des meilleurs outils pour retirer le caillot. L'idée est d'intégrer ces capteurs avec les dispositifs médicaux existants. Il est très important que ce guide puisse donc naviguer de l'aine jusqu'au cerveau. Et ça, ça demande une certaine capacité mécanique. Et donc toute la difficulté est d'avoir un capteur extrêmement miniaturisé qui permette de donner des informations pertinentes au médecin, auxquelles il n'a pas accès aujourd'hui. Mais en même temps, garder cette fonction primaire du dispositif. D'accord ? Les guides sont fabriqués dans la salle blanche de Sensome. Ici, les microbes n'ont pas le droit d'entrer. Donc en fait, on va positionner les différents guides, les différents fils. Il s'agit principalement d'un travail d'assemblage. On a cinq fils de différentes couleurs. C'est ce qui va nous permettre, en fait, de faire les contacts avec le capteur. Donc on positionne l'ensemble sous deux caméras. Les fils sont précisément centrés sous les caméras et soudés au plasma. Sous microscope, de minuscules points de colle sont déposés pour coller les fils et le capteur. On va faire une soudure du capteur sur ce fil. Une fois tous les fils assemblés, le guide est recouvert d'une gaine sur toute sa longueur. Chaque guide terminé est inspecté soigneusement et le processus se termine par la calibration du capteur. On va mesurer, en fait, le signal qui sort de ce guide. Finalement on a fait... On a fabriqué l'impédancemètre le plus petit du monde pour pouvoir arriver à la technologie qui est déployée aujourd'hui. Au début, nous, quand on a commencé, tout le monde nous disait : "ce que vous voulez faire, C'est impossible". Aujourd'hui, on dit à ces personnes-là : "Écoutez, on ne savait pas. C'est pour ça qu'on l'a fait". Et même aujourd'hui, quand on montre aux experts du domaine microélectronique notre capteur, ils ne croient pas qu'il existe. Tellement on a pu repousser l'état de l'art avec le développement de ce capteur. Ensuite, il y a des gros industriels qui, eux, ont des dispositifs qu'ils distribuent à une échelle mondiale. Et derrière, une fois qu'on a démontré ça sur une indication, par exemple l'AVC, on peut passer à une prochaine indication. Cette technologie là pourrait être appliquée à différents dispositifs médicaux. Et on est en train de réfléchir à d'autres applications et on pense qu'il y a une application intéressante dans l'oncologie, dans le cancer. Le traitement des cancers, des caillots qui se forment dans les membres ou le contrôle des implants, les applications ne manquent pas. Ce projet a bénéficié de conditions idéales. Au début, le fait d'être sur le campus de l'X nous a permis vraiment d'aller beaucoup plus vite que ce qu'on aurait pu faire tout seuls. l'École polytechnique, c'est un monde, c'est un endroit assez unique dans le monde en termes de ressources qui sont à disposition, à quelques pas, réunis sur un campus. Tout cet écosystème, cet entourage nous a permis vraiment de mûrir et de... En fait, toute l'école, quelque part, a été notre incubateur. L'idée de penser que, un jour, quelque chose qui a commencé dans nos laboratoires, après est allé dans une startup pour aller finalement dans le corps d'un patient - parce qu'on est aujourd'hui dans des essais cliniques, donc on a déjà essayé ça sur plusieurs patients - et de penser que un jour on pourrait aider à améliorer vie de quelqu'un. Pour moi, c'est incroyable, le concept.