L'aviron est une discipline phare de l'olympisme français depuis une vingtaine d'années. Courues sur une distance de 2 000 mètres, les compétitions sont ultra serrées. Ainsi, en 2016 à Rio, c'est avec une demi-seconde d'avance seulement, que Pierre Houin et Jérémie Azou remportent l'épreuve du deux de couple dans la catégorie poids léger. Question donc pour les sportifs et leurs entraîneurs : Dans l'Essonne, sur le campus de Paris-Saclay, deux jeunes chercheurs ont étudié la question sous toutes les coutures. Doctorants au laboratoire d'hydrodynamique de Polytechnique, Romain Labbé et Jean-Philippe Boucher ont commencé par se poser des questions faussement naïves. Quand on regarde une course d'aviron aujourd'hui, on voit que tous les rameurs rament de façon synchrone. Ils mettent ensemble les pelles dans l'eau, tirent sur les rames, sortent les pelles de l'eau... Et on sait que d'un point de vue physique, ce n'est pas forcément très bon, parce que ça crée de larges fluctuations de vitesse. De plus, dans la nature, certains animaux comme les crevettes qui ont plein de pattes, n'utilisent pas du tout cette stratégie. Plutôt que d'actionner toutes leurs pattes en même temps, elles ont plus tendance à actionner d'abord les pattes de devant puis de propager une onde avec les pattes de derrière. Elles ont un mouvement qu'on appelle asynchrone. Le campus de Paris-Saclay dispose d'un lac, et l'École polytechnique possède sa propre équipe d'aviron qui est rompue aux compétitions universitaires. Une aubaine pour comparer mouvements de rame asynchrone et synchronisé, en théorie. Car en pratique, impossible, malgré toute sa bonne volonté, de faire ramer l'équipe à la manière d'une crevette. Qu'à cela ne tienne, Romain se forge un modèle facile à manipuler avec une maquette et huit robots rameurs. Nous avions voulu prouver qu'il valait mieux ramer désynchronisé alors qu'on a prouvé exactement l'inverse avec notre maquette : elle allait plus vite quand les rameurs étaient synchronisés. On avait oublié de prendre en compte un élément : le mouvement des rameurs sur le bateau. Au moment où les rameurs tirent sur leurs rames, ils avancent sur le bateau, et au moment où ils reviennent en position, ils tirent le bateau avec leurs pieds, et ils reviennent en arrière sur le bateau. Sur ce moment-là, la coque continue d'accélérer. Et donc, quand les pelles sont hors de l'eau, il y a un mécanisme de propulsion supplémentaire. Et dans le cas désynchronisé, on perd cette propulsion supplémentaire. Et les crevettes, alors ? Eh bien, elles sont tout simplement trop légères pour subir des mouvements de masse. Finalement, on n'a rien révolutionné, on a juste prouvé qu'il valait mieux ramer synchronisé, comme les rameurs ont toujours ramé. Mais ce que ça nous a apporté, c'est une réflexion autour de l'influence de ces masses. Quelle est l'influence d'avoir un déplacement de masse du rameur ? Et c'est bien la gestion de ces masses, plus que la synchronisation, qui se révèle déterminante pour gagner du temps. On a réussi à prouver que si les rameurs sortent les pelles de l'eau, reviennent très vite en position mais marquent un léger temps de pause pour laisser glisser le bateau avant de remettre les pelles dans l'eau, ils étaient capables de gagner quelques petits pourcents en vitesse avec cette stratégie. Côté matériel, de toutes petites améliorations peuvent aussi jouer. Ainsi, en 1992, aux JO de Barcelone, 10 médailles d'or sur 14 ont été attribuées à des équipes qui ont opté pour un nouveau type de rame. Qu'en est-il de la forme de la coque ? Le complice de Romain, Jean-Philippe Boucher se penche sur la question. On s'est demandé si en aviron les coques devaient être symétriques ou s'il ne fallait pas plutôt imiter le canoë ou le kayak de vitesse en prenant des formes légèrement asymétriques. On a considéré 5 coques différentes dont on a mesuré la résistance dans l'eau. La première est parfaitement symétrique et la cinquième, très asymétrique. Pour étudier expérimentalement la résistance de ces objets, on a construit un banc de traction qui va permettre de tracter ces objets à la surface de l'eau. On a un capteur sur le dispositif qui va mesurer pendant le déplacement, la force exercée par l'eau sur la coque. Avec la partie effilée vers l'avant, la coque la plus asymétrique présente aussi la traînée la plus faible dans l'eau. C'est donc en théorie une forme optimale pour gagner en vitesse. Dans la perspective des JO 2024, c'est un résultat essentiel pour les athlètes en compétition. La forme des bateaux, c'est intéressant, il faut toujours avoir cette capacité de penser "outside the box", comme disent les Anglo-Saxons. Et être en mesure de ne pas rater la petite révolution technologique qui va faire qu'on va pouvoir passer devant ses adversaires. Souvent, sur des compétitions qui ont lieu sur 2 000 mètres, ça peut vraiment se jouer à peu de chose. Pour ce peu de chose, on va jouer sur les facteurs physiologiques des athlètes, et évidemment, si la science peut nous apporter quelques dixièmes de secondes supplémentaires pour avoir une embarcation qui va aller un peu plus vite, ça peut faire une grande différence sur un podium. Ce qui va nous permettre d'être au pied du podium ou tout en haut sur la première marche dans une compétition.