On peut dater à peu près l’utilisation de la science à des fins de performance aux environs des années 30 en Allemagne, en URSS. Et puis après, en Grande-Bretagne, aux États-Unis à partir des années 1960, on va avoir une généralisation, une expansion des usages de la science pour le sport de haut niveau. Auparavant, la science était aussi convoquée pour étudier la performance, mais on était plutôt dans le registre de l’étude, de la curiosité. On étudiait le sportif comme une sorte de merveille, comme un phénomène qu’on essayait de comprendre et non pas dans une logique d’amélioration. C’est à partir des années 30 et après, à partir des années 60, que va se faire la bascule.
Certaines disciplines ont été concernées plus tôt que d’autres : l’athlétisme, la natation notamment. Alors, pourquoi ? Eh bien, parce que dans ces disciplines, la performance dépend étroitement d’un ensemble de facteurs qui sont essentiellement physiologiques, mécaniques, qui sont plus facilement quantifiables par rapport à d’autres disciplines sportives, comme des sports collectifs par exemple.
Le (contre)exemple de la « paroi cavité »
Je peux vous donner un contre-exemple. Dans les années 70, une théorie assez en vogue avait été développée par des cardiologues, c’était ce qu’on appelait « la théorie paroi-cavité ».
En fait, on avait constaté, sur la base d’observations médicales, que les gens qui avaient un cœur assez développé en cavité, c’est-à-dire dont le cœur peut pomper beaucoup de sang, ces gens mouraient plus tard que des gens dont les cavités cardiaques étaient plus réduites, et surtout des gens qui avaient des parois du cœur épaisses.
Sur la base de ces observations médicales, on en avait déduit qu’il fallait orienter l’entraînement de façon à ce que le cœur se développe en cavité. Et ça, c’était plutôt des entraînements de type endurance. Et du coup, on en arrivait à prescrire certaines formes d’entraînement, notamment en endurance, pour des sportifs pour lesquels ce n’était pas du tout déterminant dans la performance ! Ce qui était un peu aberrant.
On s’en est rendu compte par la suite. Ces travaux-là ont été contredits par les travaux scandinaves et anglo-saxons en physiologie qui se sont développés par la suite.
Et puis, si on prend l’histoire des sciences de la performance, il y a énormément de travaux qui ont conduit à des améliorations des performances, que ce soit des travaux en physiologie, en mécanique, en psychologie etc. On peut évoquer par exemple les travaux menés sur la fatigue qui permettent de détecter les cas de surentraînement avant qu’ils n’aient des effets délétères chez des athlètes spécialisés en endurance. On utilise, par exemple la variabilité de la fréquence cardiaque comme indicateur.
Le matériel, essentiel !
Si je devais choisir un domaine, ce serait certainement l’évolution du matériel qui a impacté énormément de disciplines sportives. On peut penser au ski : il y a des essais en soufflerie pour tester le matériel. On peut penser au cyclisme, avec l’évolution des matériaux sur les cadres de vélos, le travail sur le profilage des casques etc.
Attention, on a toujours cette idée de l’entraînement toujours plus scientifique ! L’entraînement, c’est de l’artisanat, du bricolage, c’est gérer de l’humain, un environnement social.
Avec mes collègues, nous avons interrogé un entraîneur il y a quelques années. J’ai toujours en tête ce qu’il nous disait : « Si vous voulez savoir si un lieu est vraiment consacré à la performance de façon efficace, vous regardez les alèses. Si les alèses sont en plastique, les athlètes dormiront mal. Ils seront fatigués, ils ne pourront pas s’entraîner correctement et produire leur performance maximale ». Ça paraît un peu trivial, mais ça montre à quel point des choses extrêmement pragmatiques ont un impact considérable sur la performance.
Et ça relativise un peu ce qu’on peut aller chercher à grappiller avec la recherche sur la performance.
Quel entraîneur aujourd’hui ?
En une cinquantaine d’années, le métier d’entraîneur a considérablement évolué. On était auparavant sur un profil d’entraîneur technicien, dans le sens où l’ensemble de la préparation sportive était contenu dans la préparation technique de la discipline. Il n’y avait pas de préparateur physique dissocié de l’entraîneur, c’est l’entraîneur qui faisait la préparation physique. Il n’y avait pas forcément de préparation mentale. Et puis l’entraîneur gérait tout.
Aujourd’hui, l’entraîneur gère, manage une équipe. D’ailleurs, dans un certain nombre de fédérations, le titre d’entraîneur est « manager de la performance ». Et en fait, il est entouré d’un réseau, d’un ensemble de personnes. Des entraîneurs adjoints, des kinésithérapeutes, des médecins, des experts scientifiques, des responsables de suivi socioprofessionnel. Il se retrouve à manager une équipe, à gérer un ensemble de personnes autour de l’athlète pour produire de la performance.
Et le sport loisir ?
Quand les chercheurs font une recherche, les résultats passent à la moulinette de la vulgarisation. À la fin, il en reste un truc un peu caricatural.
Vous avez un chercheur qui vous dit : « Dans telles, telles et telles conditions, les étirements ne permettent pas d’augmenter la force, n’ont pas d’effet sur les courbatures et ne réduisent pas les blessures ». Mes étudiants arrivent et disent : « Il ne faut pas s’étirer ». On n’a pas dit ça !
On a dit que les étirements diminuent la force à court terme dans le cadre d’une séance, ne diminuent pas les courbatures. Maintenant, si tu veux être souple, il faut t’étirer. Bien entendu, il y a des techniques qui sont éprouvées ! Et en fait, il y a un consensus.