Et si les oiseaux migrateurs pouvaient nous alerter sur l'imminence d'une catastrophe naturelle ? Certains oiseaux arrivent à éviter sur leur trajet les ouragans et les cyclones. Comment détectent-ils ces phénomènes climatiques extrêmes ? Et pouvons-nous nous en inspirer pour servir de système d'alerte ? - Chez les animaux, la migration correspond à un déplacement saisonnier géographique qui permet à un animal de suivre les ressources dont il a besoin, notamment alimentaires. Chez les oiseaux, la migration est assez spectaculaire parce qu'ils volent, donc ils peuvent aller très loin. On a à peu près 10 000 espèces d'oiseaux au monde connues et on estime que c'est 20 % des espèces d'oiseaux qui sont migratrices, ce qui représenterait quand même 50 milliards d'oiseaux au monde. Certains oiseaux migrateurs vont parcourir parfois de petites distances. Ils vont descendre du sommet des montagnes pour aller dans les vallées. Et on en a d'autres qui sont de véritables marathoniens. La Barge rousse, par exemple, qui niche en Alaska est l'oiseau qui parcourt la plus grande distance, plus de onze mille kilomètres non-stop de vol sans se poser au-dessus de l'océan Pacifique. Il faut imaginer que cet oiseau, le jour, la nuit, il est en vol. Il bat des ailes ou il se laisse planer mais il ne se pose jamais. Il ne mange pas, il ne boit pas. Un oiseau comme la Barge rousse pour ce voyage-là qui va durer une dizaine de jours, elle va plus que doubler son poids. C'est un petit peu comme si un humain qui pèse 70 kilos, avant de partir en vacances, eh bien il va grossir, accumuler du gras, des réserves pour pouvoir bouger. À son départ, il va peser 140 kilos. Le caractère migrateur des oiseaux, les études qui ont été faites montrent que c'est un caractère inné. Ce caractère migrateur, s'il est inné, c'est qu'il est codé génétiquement. Il est dans les gènes de l'oiseau qui est programmé pour se déplacer de cette manière. Quelles sont les capacités sensorielles qui permettent à ces oiseaux d'atteindre leur destination sans problème ? Ce système unique peut-il nous aider à mieux avertir les populations concernées par des catastrophes naturelles ? - Ces oiseaux migrateurs, pour s'adapter à ces environnements, et notamment lors de leurs déplacements, on pense qu'ils doivent avoir des sens particulièrement développés. Si on imagine un oiseau, comment il va percevoir son environnement, c’est complètement différent de notre perception en tant qu'humain. La lumière, par exemple, il va la voir de manière polarisée, donc il peut localiser le soleil quelle que soit l'heure de la journée, même s'il y a des nuages. Un oiseau voit dans l'ultraviolet, un oiseau voit le champ magnétique terrestre. On sait aussi qu'ils apprennent à se repérer par rapport aux étoiles et on sait que certains oiseaux perçoivent les infrasons, des fréquences très basses, de l'ordre de quelques hertz que l'oreille humaine ne perçoit pas. Nous, c’est 20 Hz le minimum. Ce sont des ondes qui se propagent à la vitesse du son mais qui vont très très loin car elles sont très peu sensibles aux obstacles et on sait que les cyclones, le vortex des cyclones, le tourbillon produit des infrasons, qu'une vague de tsunami produit des infrasons qui se propagent. Un séisme produit des infrasons et on pense que ces oiseaux migrateurs vont être particulièrement sensibles et capables de capter ces infrasons et de les interpréter. On s'est aperçu, en étudiant des oiseaux migrateurs et leurs déplacements, qu'ils peuvent éviter un ouragan sur leur trajectoire en se déplaçant pour le contourner, en revenant par la suite. D'où l'idée d'étudier les oiseaux et leurs réactions éventuelles, notamment dans des zones où il y a beaucoup de cyclones et où il y a des risques de tsunami après des séismes pour voir s'ils anticipent l'arrivée de ce type de catastrophes. Et on a choisi de travailler sur le Courlis d'Alaska qui est un oiseau comme la Barge rousse qui se reproduit en Alaska et qui va migrer au-dessus de l'océan pour aller passer l'hiver notamment en Polynésie. Nous sommes allés en Polynésie pour en capturer juste avant leur migration de printemps, quand ils sont plus faciles à attraper, pour leur poser donc des petites balises GPS qui vont enregistrer leur position de manière très fréquente. L'ensemble des données qu'on collecte nous permettent aussi d'étudier leurs stratégies de migration qui sont assez extraordinaires en termes de recherche, comment ils utilisent les habitats, leur environnement, et après, si un cyclone arrive ou s'il y a une vague submersive, eh bien, c'est d'observer le comportement des oiseaux. Chaque courlis vit sa vie et si on voit apparaître un comportement similaire chez tous les oiseaux, c'est qu'ils réagissent à un stimulus extérieur commun, et notamment s'il y a une vague submersive, on saura à quelle distance elle était, à quel moment eux ont anticipé son arrivée, ont réagi aux infrasons et ça nous permettra de savoir si les oiseaux peuvent servir de système d'alerte précoce. L'idée, c'est pas de remplacer les systèmes d'alerte précoces qui existent, mais de les compléter, d'avoir un système local qui puisse sur une île, sur un atoll, confirmer ou non l'imminence d'un danger et son arrivée. C'est du biomimétisme, c'est copier les oiseaux. Si les oiseaux s'enfuient, il faut absolument que les populations humaines fassent de même et se mettent à l'abri dans les infrastructures qui ont été conçues pour faire face à ce type de catastrophe. Apprendre de la nature en matière de risque et mieux la comprendre grâce à la science sont des démarches novatrices pour lesquelles de nombreuses espèces peuvent nous inspirer des solutions mieux adaptées aux catastrophes, mais aussi au dérèglement climatique.
Réalisation :
Thomas Marie
Production :
Universcience, La Belle Société Production, CNRS, Ademe, Région Nouvelle-Aquitaine, MNHN, Ceebios, Epo& - Institut des Futurs souhaitables, Fondation Iris
Année de production :
2025
Durée :
6min04
Accessibilité :
sous-titres français