Pendant longtemps le chercheur Christian Lorenzi, spécialiste de l’audition, a travaillé sur la parole. Mais comment notre système auditif perçoit-il les liens complexes entre des sons biologiques, comme les cris d’animaux, et des sons géophysiques, comme l’eau et le vent ? Sommes-nous capables d’identifier un paysage par le son ? C’est sur ce nouveau domaine de recherches, qu’on appelle « l’écologie auditive humaine » , qu’il réoriente aujourd’hui toute l’activité de son laboratoire. - Nous avons construit tout un ensemble de programmes de recherches qui visent à caractériser comment vous et moi, avec notre oreille, avec notre système auditif, nous percevons ces scènes naturelles que vous pouvez écouter lorsque vous vous promenez dans une forêt, dans une clairière. Malheureusement, on s'aperçoit qu'on ne sait quasiment rien sur votre capacité à diagnostiquer la santé de l'environnement dans lequel vous êtes. Ces capacités un peu élémentaires, peut être ancestrales ou vestigiales sont relativement méconnues. Et donc c'est l'essence même de ce travail de psychologie expérimentale. Christian Lorenzi a voyagé jusqu’en Ecosse, pour rencontrer l’écrivain Neil Ansell. Après avoir baroudé dans le monde entier, appris à reconnaitre les cris des mammifères et les chants des oiseaux, Neil est entrain de perdre l’audition. Une expérience qu’il raconte dans son livre "Voyage au pays du silence". Partir de ce témoignage humain et pas seulement d’hypothèses abstraites, telle est la démarche du chercheur Christina Lorenzi Le laboratoire a publié sa première étude d’écologie auditive en 2023, à partir d’une base de sons enregistrés dans des environnements distincts à différentes saisons et différents moments de la journée. Grâce à des outils de traitement de signal, les chercheurs ont mis au point un modèle informatique du système auditif humain, qui permet de savoir quelles informations une oreille humaine peut extraire des sons naturels. - Ce qui est représenté ici dans ces petites images colorées, ce sont les sorties de ce modèle en réponse à la clairière, la prairie, la forêt et le maquis. Sur un an d'enregistrement. Et ce que l'axe vertical montre, ce sont les fréquences audio, des graves aux aigus, et l'axe horizontal, ce sont les rythmes temporels, des rythmes les plus lents aux rythmes les plus rapides. Et plus c'est jaune, plus il y a d'énergie dans le signal et donc d'informations susceptibles d'être utilisées pour discriminer la clairière de la prairie, de la forêt et du maquis. Cette grosse tache-là, en fait, que l'on voit dans les aigus et pour des fluctuations rapides, correspond aux vocalisations des oiseaux. Si on réalise à nouveau ses simulations en fonction du moment de la journée, on voit bien que, par exemple, il y a beaucoup plus d'activités à l'aube que pendant la nuit. Là, nous avons l'expression de ce qu'on appelle le chorus ou le chœur matinal, ces vocalisations d'oiseau 1 h avant le lever du Soleil. Voilà comment on peut déjà analyser le contenu de ces scènes avec des outils de traitement de signal qui nous indiquent ce qu'un humain peut en extraire, peut percevoir à partir de cela. Dans la réalité, sommes-nous aussi performants que ce modèle pour discriminer différents sons ? Dans une deuxième étude, comportementale cette fois, les chercheurs ont présenté cette même base d’échantillons sonores en cabine, à des adultes. - Les personnes qui ont participé à ces expériences étaient moins bonnes que ce que le modèle fait. Ce qui veut dire que vous et moi nous ignorons quand même certaines informations pertinentes qui sont véhiculées par ces paysages. Et c'est ça qui nous intéresse : pourquoi nous ignorons ces informations là, pourquoi nous n'y prêtons pas attention, pourquoi nous les oublions ? Est-il possible de mesurer un niveau de biodiversité en écoutant un paysage ? L’écologue américain Bernie Krause, pionnier de l’écologie auditive, a étudié un paysage avant et après une coupe forestière peu importante. Visuellement, à un an d’intervalle, rien n’a changé. Mais sur ce sonogramme, ont entend bien la différence entre avant… et après... Quand dans le silence des nombreuses espèces disparues, seul perce le son si caractéristique du pivert.