Du vent dans une clarinette… sa trajectoire… les impasses et les issues pour l’air… autant de phénomènes qui passionnent le physicien Christophe Vergez. Au point qu’avec son équipe, il a noué une alliance originale avec un fabricant d’instrument pour concevoir une nouvelle clarinette…
Fabriquer un nouvel instrument constituait jusqu’à présent un processus artisanal long, parfois fastidieux, souvent coûteux. Mais cela, désormais, va peut-être changer, grâce à la collaboration entre Christophe Vergez et un ancien étudiant du Laboratoire de mécanique et d’acoustique de Marseille ou LMA, Tom Colinot, qui est aujourd’hui chercheur-ingénieur chez le facteur d’instrument Buffet Crampon. Objectif : utiliser les outils de la physique et de l’informatique afin de créer des prototypes de clarinettes d’une manière plus simple et plus rapide.
Pour cela, Christophe et Tom commencent par étudier un instrument en condition de jeu afin d’en dresser un modèle virtuel réaliste. Coline Marché, doctorante en psychoacoustique et clarinettiste, participe à l’expérience, avec un instrument bardé de capteurs.
Tom Colinot
« C’est un bec dans lequel on a mis trois capteurs… Le premier est un capteur de pression, qui va aller dans ta bouche et va capter la force de ton souffle ».
Les autres capteurs mesurent la pression dans le bec et le mouvement de « l’anche », cette petite languette qui vibre pour produire le son.
« Un bec instrumenté, ça sert à mesurer l’action du musicien sur l’instrument et les variables physiques dans l’instrument. On veut comprendre comment marche l’instrument pour ensuite le reproduire virtuellement. Quand tu souffles, on voit apparaître une oscillation. »
Ces premières données décrivent ainsi le jeu de la musicienne.
« Est-ce que tu peux souffler très fort ? »
Mais le son d’un instrument dépend aussi, bien sûr, de ses caractéristiques intrinsèques.
Pour les connaître, les chercheurs étudient son impédance, c’est-à-dire sa résistance au son, dans une chambre dite « anéchoïque », isolée du monde extérieur et dépourvue d’écho.
La mesure de l’impédance permet de mettre en relation la forme interne de l’instrument avec les fréquences de résonance dont dépendent les notes jouées.
Christophe Vergez
« Dans notre projet de fournir des outils au facteur d’instrument, cette étape est très importante ; elle permet de mesurer la signature acoustique d’un instrument, qui sera transformée en équation donnée à l’ordinateur pour fabriquer un instrument virtuel et tester les différentes géométries sans avoir à les fabriquer ».
Les chercheurs traduisent ensuite le fonctionnement physique de la clarinette sous forme d’équations correspondant à la vibration de l’anche, l’écoulement du souffle et la propagation des ondes acoustiques dans la colonne d’air. Ces équations constituent donc une clarinette virtuelle : selon les paramètres de jeu et de signature acoustique, des sons peuvent être générés numériquement.
Tom Colinot
« Comme si j’étais un instrumentiste, j’ai deux paramètres : la pression de souffle, de plus en plus fort, et l’appui de la lèvre sur l’anche... ça va changer le timbre, si j’ouvre ou si je ferme. Si je ferme trop, il n'y a plus de son. ».
Débute ensuite la phase dite « d’optimisation de forme ». Tom et Christophe modifient le paramètre de leur choix de cet instrument virtuel – par exemple, la fréquence de résonance pour certaines notes de la gamme – et testent le résultat sur ordinateur. Ils sélectionnent ensuite une signature acoustique et c’est l’ordinateur qui propose une nouvelle forme interne de l’instrument.
Tom Colinot
« Dans une clarinette, il y a beaucoup de trous. Chaque trou a une position, un diamètre, une hauteur de cheminée. Il y a beaucoup de paramètres sur lesquels jouer. On utilise des procédures automatisées pour aller chercher la géométrie qui satisfait au mieux l'objectif. Une fois qu'on l'a trouvée, on va la modéliser en 3D. Voici par exemple un résultat d'optimisation qui - pour nous - satisfait l'objectif acoustique que l'on s'est fixé.
La forme du futur instrument étant ainsi arrêtée, direction l’atelier d’impression 3D pour la fabrication d’un prototype réel. Cela paraît étonnant, mais ce qui compte avant tout dans l’acoustique d’un instrument, c’est sa géométrie interne et non son matériau. Peu importe donc de ce point de vue qu’il soit en plastique plutôt qu’en bois. Et l’avantage, c’est qu’il suffit de quelques heures pour imprimer un prototype !
Pour tester ses prototypes avec Coline, l’équipe se rend ensuite dans une autre salle anéchoïque.
Christophe Vergez
« C’est une salle où l'on vient pour étudier uniquement une source sonore sans prendre en compte l'influence de la salle ; C'est un outil très précieux pour l’acousticien ; Quand on développe un prototype pour un nouvel instrument, évidemment à la fin de la chaîne il y a toujours un essai par un musicien, qui nous donne son ressenti sur la facilité de jeu, la justesse, tout ce qu'il peut ressentir en jouant de cet instrument. »
Premier essai, donc, avec un prototype… qui se révèle pas très facile à manipuler !
Coline Marché
« Là c’est vraiment dur de jouer, les trous sont très gros, difficiles à boucher... c’est pas adapté, je peux même pas descendre très bas. Là on va avoir beaucoup plus d’aigus et des sons qui sont un peu agressifs, oui, des sons un peu moins doux qu’une clarinette normale »
Vient ensuite ce qui pourrait devenir un jour un instrument d’étude : une clarinette pentatonique, dépourvue de clé et donc plus facile à jouer.
« On a un son moins nasillard, moins agressif, plus doux. C'est déjà beaucoup plus jouable, un prototype beaucoup plus exploitable. »
Au gré d’allers-retours entre modèles informatiques, salles anéchoïques, échanges entre acousticiens et musiciens, un nouvel instrument fait peu à peu son apparition. La collaboration étant récente, vous ne trouverez pas encore de clarinette « made in LMA » dans les commerces, mais c’est pour bientôt, promet l’équipe…