Esther Lederberg, l’injustice dans les gènes. Novembre 2006, l’Université de Stanford publie un hommage à Esther Lederberg, professeure émérite en microbiologie et immunologie, qui vient de succomber à 83 ans. Lyriques, ses collègues exaltent la « pionnière en génétique bactérienne », le... « génie de laboratoire », la... « légende ». C'est beau comme un sirtaki ! On s'en doute, ne serait-ce que par la nature de cette chronique, la surdouée aura été particulièrement gâtée par ses pairs durant sa longue carrière. Atterrie pendant la grande dépression du début des années 20 dans le Bronx de New York, Esther grandit avec des morceaux de pain imbibés de jus de tomate dans la bouche. A la force des neurones, la jeune fille grimpe les échelons du monde de la connaissance qu'elle sait pourtant hostile à son genre. Elle décroche une maigre bourse pour suivre un master à la célèbre Université de Stanford, en Californie. Arrivée comme une vagabonde, elle est promue assistante d’enseignement et avale les succès comme les cuisses de grenouilles abandonnées à la fin des classes de dissection. Un honnête repas de substitution pour la pauvresse. Mariée dès 1946 à Joshua Lederberg, alors thésard à l’Université Yale, elle débute un doctorat dans le Wisconsin. Le couple s’y installe rapidement et travaille main dans la main sur la génétique bactérienne, en particulier sur l’accouplement des bactéries, et développe une technique de réplique sur plaque, encore largement employée par les labos actuels, qui permet de démontrer le caractère spontané des mutations bactériennes. Des travaux récompensés en 1958 d’un Prix Nobel. L’heureux élu ? Monsieur Lederberg. Sans autre justification qu’un phallocentrisme décomplexé. Le jour J, Esther n’est pas seulement ignorée. On la somme d’assister à la cérémonie pour écouter, la larme à l’œil, son mari et collègue déclamer un discours, où il ne fera pas la moindre mention de sa contribution. On imagine l’ambiance. Qu’importe ! Esther goûte peu à peu à ces artifices mondains, du "dress code" imposé aux participantes une longue robe de soirée et trois paires de gants blanc. L'ancienne miséreuse ne cède que sur les mitaines. Pour le reste, elle préfère teindre elle-même une paire de chaussons de ballet assortie à une robe blanche de bal de promo. Le couple finit par divorcer en 1966. Esther ne se lassera pas de raconter les petits défis menés pour imposer son corps féminin au monde tout neuf de la génétique. Comme proposer des services surqualifiés en tant que vacataire à Stanford, après que la faculté lui ait refusé un poste de professeure, qu'elle obtiendra plus tard. La vielle dame analysera ses mésaventures avec philosophie. « Beaucoup de lauréats s’emparent du Prix Nobel et s’en vont parler de tout et de n’importe quoi. Les gens qui les prennent au sérieux sont stupides ». Puis, à propos de son ex-mari : « Le Nobel lui a été destructeur. Comme il a pu être imbécile à s’auto-considérer avec autant d’importance et de grandeur artificielle. Bientôt nous serons tous les deux oubliés ». Elle, un peu plus rapidement.
Réalisation :
Jean-Paul Guirado
Production :
Gald, en partenariat avec Universcience
Année de production :
2021
Durée :
3min33
Accessibilité :
sous-titres français