Ils ronchonnent, grognent et parfois aussi coassent, on en élève des millions en France, et ils intéressent de près l'équipe de chercheurs européens du projet Soundwel. “Ils”, ce sont les cochons, des mammifères sociaux, intelligents, curieux et particulièrement bavards. Le cochon communique beaucoup et il a un panel de sons assez diversifié par rapport à d'autres animaux de ferme. Donc il peut émettre des grognements, des cris, des couinements. On entend même des aboiements. Donc c'est très intéressant d'étudier cette communication-là pour comprendre un petit peu ce qu'ils se racontent entre eux, et en particulier s'ils expriment leurs émotions. Car les cochons ont des émotions, ils peuvent ressentir de la peur, de la douleur ou encore du plaisir quand ils jouent ou se font des câlins, par exemple. Et ces émotions peuvent s'entendre. L'objectif de cette recherche du projet Soundwel, c'était de déterminer si on pouvait arriver à développer un outil automatique de détection des émotions des cochons simplement en entendant les sons qui sont émis. Donc on est partis du préambule qu’il y a un lien entre l'émotion et la vocalisation du cochon. Il y avait plusieurs études qui avaient montré que si on mesure l'activité cardiaque, la réaction comportementale d'un animal en lien avec une émotion, il y a aussi une modification de la voix du cochon. Les scientifiques ont alors commencé par constituer une grande base de données composée de plus de 7000 sons de cochons enregistrés dans 19 situations différentes, comme ici à l'Inrae en Bretagne. Des situations qui induisent des émotions positives comme l'allaitement des porcelets... ou encore l'introduction de sources de jeu. Des enregistrements sonores ont également été faits lors de situations qui induisent des émotions négatives, comme lorsque les porcelets sont séparés de leur mère. Ou en tout cas certains porcelets. Une fois cette base constituée, les bioacousticiens de l'équipe ont isolé les sons un par un, analysé leurs caractéristiques acoustiques, puis développé une première méthode statistique de classement automatique des sons. J'ai fait une nouvelle expérimentation sur la relation humains-cochons et du coup, j'aimerais bien qu'on soumette ces sons à notre système de classification. Oui, donc, tous les sons que tu m’as envoyés sont bien des grognements... Oui, je ne t’ai envoyé que des grognements. Donc des sons à basse fréquence qui peuvent être positifs ou négatifs. Mais sur celui-là, par exemple, on voit déjà très bien... qu'il est déjà très long en durée, ce qui est caractéristique des sons négatifs, avec cette diminution au cours du son, qui est typique d’un grognement négatif. Oui, on reconnaît déjà, c’est chouette. Et du coup, quand je les soumets, quand je fais une analyse basique basée sur les paramètres des cris, ce qu'on arrive à voir, c'est que par exemple, la situation où ils sont en “isolation”, c'est pas mal similaire à ce qu'on avait quand les cochons font du “huddling”, quand ils se mettent tous ensemble pour se tenir chaud. Donc c'est plutôt positif. Mais on a aussi du “missed nursing” quand les petits cochonnets n'ont pas réussi à se nourrir, et aussi “restrain” lorsqu’ils sont retenus pour être manipulés . Donc il y a un petit peu de tout en fait dans “l'isolation”. L'étape d'après ce serait de les lancer sur MATLAB avec cet algorithme qui a été, comme tu le sais, entraîné du coup il est beaucoup plus efficace pour classer les sons des cochons. Pour aller plus loin les chercheurs ont en effet développé un programme d'intelligence artificielle et l'ont entraîné à différencier les sons positifs et négatifs de la base de données à partir de leurs images. Et au final, après plusieurs mois d'efforts, l'intelligence artificielle a réussi à classer dans la bonne catégorie d'émotions 82 % des nouveaux sons présentés. Autrement dit, elle s'est montrée capable, à partir d'un simple phonogramme, de savoir si le cochon entendu était par exemple satisfait d'avoir mangé ou heureux de retrouver ses congénères. C'est inespéré finalement par rapport à ce qu'on attendait, parce qu'on avait 19 situations, donc quelque chose d'assez complexe. Par contre, la complexité, ça va être une fois qu'on va aller dans les élevages, dans les conditions réelles et pas dans des conditions expérimentales, où le bruit de fond va être peut-être plus important, on pourra avoir plusieurs animaux qui vocalisent en même temps. Là, on va peut-être se heurter à d'autres difficultés. Car à terme, ce système pourrait en effet être mis à profit par des élevages afin d'évaluer en continu le niveau de bien-être des cochons, d'alerter sur des situations de détresse, par exemple. Chez les vaches, on a des systèmes qui mesurent si elles boitent, etc., si elles ruminent correctement, mais il n’y a aucun système qui permette de mesurer les émotions. Et au jour d'aujourd'hui, les émotions sont une grande partie du bien-être de l'animal. On a reçu beaucoup de demandes de la part d'élevages, de la part d'abattoirs, qui aimeraient utiliser in fine cet outil-là et qui sont prêts à nous aider à le construire. Donc je pense qu'il y a vraiment une attente sur l'objectivation du bien-être animal et sur le fait d'avoir des outils basés sur la science.