Vivre le monde comme un immense musée d’étrangetés.
Giorgio de Chirico
Il est difficile de qualifier les couleurs de la pourriture tant celle-ci, en transformant le vivant, lui donne des teintes variées, nuancées, et même inédites.
Si l’on peut parfois employer les termes courants de vert, bleu, noir, blanc, ou même blanc crème, on peut aussi avoir besoin des termes rares ou même en créer de spécifiques. Il est indispensable d'évoquer la matière, si présente dans le cas de la pourriture, pour enfin distinguer un glauque poudré d'un gris laineux ou un noir guenille d’un noir bijou !De trouver les bons mots pour ne plus jamais confondre un blanc ouate, candida oumuguet. Pour ne pas mélangerun rouge carrosserie et un rouge jelly et un rouge visqueux !
Le mycélium est le plus souvent transparent ou brun. Les couleurs des moisissures sont principalement liées à leurs spores.
Et ces couleurs indiquent les différents états des organismes vivants. Pour s’assurer qu’une nourriture est comestible, nous la regardons : nous associons certaines couleurs à un danger...
A juste titre ! Leurs pigments sont toxiques pour les cellules végétales et animales : le doré du staphylocoque, le bleu-vert des aliments avariés ou le noir de la mélanine signalent ainsi la virulence des moisissures et des bactéries.
Et ce n'est pas par simple volonté de nuire ! Ces pigments sont le mécanisme de défense des microorganismes. Ils peuvent les protéger des défenses immunitaires de leurs hôtes, et ils peuvent aussi provoquer des inflammations.
Les pigments nous donnent donc des informations ! Certains d'entre eux nous disent même « mange-moi ».L’industrie agro-alimentaire, toute puissante de nos jours, utilise notamment l’orangé, couleur attractive du point de vue alimentaire. Grâce à un pigment appelé « astaxantine » produit en abondance par une moisissure, on peut en effet renforcer la couleur rose-orangé des saumons et des crustacées d’aquaculture, pour leur donner un air plus appétissant.
Les couleurs des moisissures et des bactéries ont un sens, et bien souvent, même, une histoire !
La couleur glauque, par exemple, désigne cette nuance de bleu-vert-gris laiteux. Une couleur magnifique, mais si souvent utilisée pour qualifier les eaux stagnantes et troubles des mares, qu'elle en a pris le sens figuré de malsain et sordide.
Quant au rouge, il a une place très particulière. La bactérie serratia marcessens qui produit un pigment rouge, fait partie des actinomycètes - littéralement champignons à rayons - car elle fabrique des filaments. Et lorsqu’un aliment est contaminé par cette bactérie, il se couvre d’un exsuda rouge qui ressemble à des gouttes de sang. Au Moyen-âge, des hosties ont été contaminées par la bactérie. On a alors cru qu'elles étaient ensanglantées à cause d'un phénomène occulte - puisqu'inexpliqué. Depuis 1930, on nomme ce pigment rouge « prodigiosine », puisqu'il est responsable d’un phénomène... prodigieux, bien que, comme souvent, l'ignorance en ait fait un sinistre meurtrier.