Je me souviens la première fois où les trous noirs ont fait irruption dans ma vie, ma vie d'étudiant. Je faisais des études de mathématiques pures à l'université de Marseille et je lis un petit article. J'ai tout de suite été fasciné par les propriétés tellement étonnantes des trous noirs avec les distorsions de l'espace. C'est une torsion du temps. Je suis devenu astrophysicien grâce aux trous noirs. C'était une époque aussi où j'avais commencé à faire mes gravures, mes dessins, mes lithographies avec des perspectives bizarres, des déformations visuelles. Vous avez une sorte de damier qui représenterait le tissu de l'espace, ce damier est percé au milieu par une sorte de gouffre pour comprendre vraiment ce qu'il y a au fond d'un trou noir. Sauf que nous ne comprenons pas, donc le fond est caché. Et puis dessus, il y a tout le poids du monde classique qui est représenté par une très belle cathédrale que j'ai reproduite mais qui est en ruine et qui pèse sur le tissu élastique de l'espace-temps. Brandon Carter, c'était un des grands théoriciens des trous noirs qui venait de l'université de Cambridge. Un collaborateur et ami de Stephen Hawking, Roger Penrose, enfin vraiment les grands noms de la physique des trous noirs et donc Brandon Carter m'a pris comme étudiant. Et là, il a eu cette idée extraordinaire : Il m'a dit dessine-moi un trou noir. Mais alors dessine-moi un trou noir de façon cette fois-ci scientifique, c'est-à-dire qu'on met en œuvre les équations de la relativité générale pour calculer la propagation des rayons lumineux dans un espace-temps courbé par la masse du trou noir, et entouré évidemment de quelque chose, c'est-à-dire ce qu'on appelle un disque d'accrétion, un disque de gaz chaud. J'étais essentiellement entouré d'astronomes et je voyais bien que la plupart considérait les trous noirs comme une petite fantaisie de théoriciens, parce qu'à l'époque, il n'y avait pas vraiment d'observation convaincante sur l'existence réelle de ces objets aussi bizarres puisque, par définition, ils n'émettent pas de lumière. J'ai couché quelques équations sur le papier, j'ai écrit mon programme. J'ai fait tourner le seul ordinateur qui avait à l'époque, les gros IBM qui occupaient des salles entières à l'Observatoire de Paris. Des cartes perforées à l'époque pour écrire les programmes. Même pas de logiciel de visualisation, donc on avait des tableaux de chiffres. Et comme évidemment, le but de l'article, c'était d'avoir une image virtuelle, je l'ai finalisée à la main. J'ai pris une grande feuille de papier transparent qui me servait de plaque photographique virtuelle et j'ai tracé à la main, à l'encre de Chine des dizaines de milliers de points noirs. Dans les quelques mois qui ont suivi, l'image a été publiée un peu partout, y compris dans les magazines américains, puis après on n'a plus parlé, ne serait-ce que parce qu'on pensait que c'était inaccessible. En 1979, on ne se doutait pas qu'il y avait le fameux trou noir galactique qui a fait couler beaucoup d'encre ..... galaxie. En revanche, on avait observé une énorme galaxie géante elliptique qui s'appelle Messier 87, qui est assez loin, à 65 millions d'années-lumière, et il y avait déjà des indications indirectes qu'il puisse avoir un trou noir géant de 5 milliards de fois la masse du Soleil. À la fin de mon article, je prédisais que si un jour on pouvait capter une image, ce serait Messier 87. Je ne me doutais pas que ça se passerait quarante ans plus tard avec cette extraordinaire collaboration internationale qu'on appelle Event Horizon Telescope, qui effectivement met ensemble un réseau de radiotélescopes répartis sur la planète entière, dans l'Antarctique, aux îles d'Hawaï en passant par le Chili, les Etats-Unis et l'Europe. "En cherchant l'œil de Dieu, je n'ai vu qu'un orbite vaste, noir et sans fond de la nuit qui l'habite, rayonne sur le monde et s'épaissit toujours. Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre, seuil de l'ancien chaos dans le néant et l'ombre, spirale engloutissant les mondes et les jours. C'est stupéfiant ! Pendant très longtemps, j'ai fait une véritable dichotomie entre ma réflexion sur l'Univers en termes scientifiques, si l'on veut astrophysiques, et puis ma réflexion poétique et ce n'est finalement que relativement récemment que j'ai un petit peu réconcilié ces deux choses. "Étoiles d'ombre que le temps a fait déchoir, gravitez parmi vos sœurs blanches, nul œil au monde ne peut vous voir, jadis soleils frivoles, vains soleil de gaz, ni écho ni secousse deux globes géants se sont vaporisés. Tremblement d'ether, fissure la nuit fond d'un bloc, suintement sans fin de soleils morts. "L'horizon des événements", c'est le nom que l'on donne à la surface immatérielle d'un trou noir qui est forcément noir. C'est la zone de l'espace et du temps dans laquelle si vous pouvez pénétrer, vous ne pouvez plus ressortir. C'est la définition correcte d'un trou noir. Qu'est-ce qui se passe au fond d'un trou noir ? On ne peut envoyer que nos équations parce que si on envoyait un vaisseau spatial, il ne reviendrait pas pour raconter ce qui s'est passé, bien entendu. Donc, on cherche d'autres voies pour essayer d'explorer ce qu'il peut y avoir au fond des trous noirs, y compris le fait que peut-être, il n'y a pas de fond du tout. Alors c'est la fameuse hypothèse qui a tellement été exploitée par la science-fiction, qu'on appelle les trous de ver. Il y aurait en fait un passage très étroit, la porte étroite. à travers laquelle un peu d'énergie, les particules élémentaires et pourquoi pas un vaisseau spatial pourraient passer et ressortir dans l'espace-temps ou éventuellement carrément dans d'autres Univers, des Univers parallèles, par l'inverse d'un trou noir qu'on appelle une fontaine blanche. A la toute fin des années 1980, début 90 un compositeur de musique contemporaine qui avait en fait créé une école très importante qu'on appelle la musique spectrale, qui s'appelle Gérard Grisey, m'avait écrit sans savoir que j'étais mélomane et que je connaissais déjà son nom. J'avais même des disques, donc j'ai été absolument ravi de pouvoir collaborer. Et nous avons fait ensemble un spectacle, qui s'appelle "Le noir de l'étoile". Cette partition d'une complexité extraordinaire, qui est écrite pour six percussionnistes qui manipulent des dizaines et des dizaines d'instruments de percussion différents. Mais l'idée, c'était de relier deux temps a priori incommensurables, le temps des astres et le temps des hommes. Ces différentes façons de penser l'Univers s'enrichissent mutuellement et peut-être que je n'aurais pas développé toutes ces recherches parfois étranges que j'ai faites sans avoir eu cette pratique et cette passion pour les différentes formes d'expression artistique.