Dans le monde, quelque 250 000 personnes possèdent ou louent régulièrement un jet. Quel rôle les déplacements de ces ultra-riches jouent-t-ils dans les émissions de gaz à effet de serre ? Quelle part représentent-ils dans le total de l’aviation mondiale, responsable de 2 à 5 % des émissions ? Pour répondre à ces questions, une équipe de chercheurs européens s’est intéressée à une plateforme en ligne qui collecte les signaux radio transmis par l’aviation civile. Elle permet de visualiser en direct le trafic aérien mondial. La couleur de l’avion donne l’altitude. La petite fiche associée, son numéro d’immatriculation, le modèle de l’appareil et sa vitesse de déplacement. Des informations suffisantes pour estimer pour chaque avion, ses émissions de CO2. Grace à ce type de plateformes, Jack Sweeney, un étudiant de 21 ans, s’est par exemple fait une spécialité de suivre à la trace les déplacements de célébrités comme Elon Musk, Taylor Swift, de milliardaires et de politiciens, et d’afficher sur les réseaux, le bilan carbone de leurs déplacements. En France, le compte Instagram @laviondebernard, suivi par plus de 85 000 abonnés, a scruté les déplacements du milliardaire Bernard Arnault et d’autres personnalités, en estimant là aussi, le bilan carbone de leurs voyages. Pour leur étude, les chercheurs ont planché sur le trafic aérien privé entre 2019 et 2023, et recensés 18 millions de trajets, effectués par 26 000 appareils. Leur premier constat est une augmentation de 46% du trafic entre 2019 et 2023, avec un nombre croissant d’appareils, un allongement des distances parcourues, et donc une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Les utilisateurs de jets privés contribuent ainsi à 1,8% des émissions totales de l’aviation commerciale. Et la tendance à la hausse devrait s’accentuer, avec une production attendue de 8 500 nouveaux appareils d’ici 2033 et un appétit croissant des clients pour des avions de plus en plus gros. Autre constat, le trafic aérien privé reste très concentré aux États-Unis et en Europe. Les capitales d’Amérique du Sud et les Caraïbes sont aussi très fréquentées, tout comme le Moyen-Orient. Le trafic est en revanche plus rare en Chine, en Asie du Sud-Est, en Océanie, et très faible en Afrique. Six pays concentrent à eux seuls, la propriété de 80% des appareils, avec en tête, loin devant, les États-Unis qui détiennent presque 70% de la flotte mondiale. Quant aux distances parcourues, prêt de la moitié des vols étaient inférieurs à 500 km et prêt de 20% des trajets, inférieurs à 200 km. Les chercheurs ont ensuite porté leur attention sur deux destinations emblématiques de la jet set : l’île d’Ibiza et l’aéroport de Nice sur la côte d’azur. Et constaté une fréquentation principalement estivale, concentrée sur les week ends, preuve que les trajets n’obéissent pas toujours qu’à des impératifs professionnels… La riviera reste prisée au moment du Festival de Cannes, qui comme la Coupe du monde de football au Qatar, le Super Bowl aux États-Unis, la COP28 ou le Forum économique de Davos, suscitent des arrivées massives de jets privés. Avec 1,8% des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation, l’impact climatique des jets privés peut sembler faible, mais il est disproportionné par rapport au nombre d’usagers qui représente 0,003% de la population adulte mondiale. Les auteurs de l’étude appellent donc à une régulation du trafic. Ils s’inquiètent aussi de la volonté croissante des propriétaires d’avion de faire disparaître des plateformes en ligne les données d’identification de leurs appareils. Ce qui leur permettrait de voyager incognito et interdirait la réalisation de telles études.