Le vivant cultive et fait pousser des aliments comestibles depuis des millions d'années, tout en préservant les ressources naturelles comme l'eau et le sol. Peut-on s'en inspirer pour cuisiner autrement et mieux économiser les ressources ? - Les fruits et légumes, c'est quelque chose qui est naturel au départ. Et puis, l'Homme a fait évoluer ces espèces sauvages vers des espèces domestiquées par des hybridations finalement. Une racine qu'on appelle aujourd'hui une carotte n'était pas forcément une racine dédiée à devenir une carotte. Pour moi, une carotte, c'est un légume que je vais transformer et qui va me servir à nourrir et à procurer du plaisir à des personnes. Mais à un moment donné, il va falloir que je fasse évoluer les recettes et me dire "qu'est-ce que c'est qu'une carotte ?" De quoi est-elle composée ? Combien de pourcentage d'eau ? Combien de pourcentage de fibres, combien de vitamines, etc, etc ? Et donc là, j'ai besoin d'avoir une autre compétence. - En tant que scientifique, moi, je vais voir les aliments comme des matériaux, comme de la matière qui se transforme. L'intérêt des sciences, c'est d'abord d'observer. J'observe et j'essaie de comprendre un peu les mécanismes qui se produisent. L'eau dans le vivant est extrêmement présente. Dans le blanc de poulet, 70% d’eau. Une tomate, une orange, ce que vous voulez, un poireau, 95% d'eau. L'eau, c'est d'abord un solvant. C'est un fluide qui va permettre de transporter des choses. Pour alimenter les cellules, et pour garder la vie, il nous faut des nutriments, il faut des oligo-éléments, il nous faut des minéraux, il faut plein de choses et donc c'est des histoires d'échanges d'eau entre la cellule interne et l'extérieur. Et là encore, c'est grâce à l'eau que nous pouvons assurer tous ces mécanismes. - Cette peau de la tomate est un contenant absolument incroyable, avec une résistance quasi mécanique de contenir ses 80 à 90 % d’eau. Donc là, il y a tout un tas d'observations qui vont me permettre d'évoluer en tant que cuisinier, mais aussi peut-être en tant qu’agriculteur. La nature a des milliards d'années de recherche et de développement que nous n'aurons jamais. Parce qu’elle fonctionne par observation, par besoin, par besoin de survie. C'est tout l'intérêt du biomimétisme, y compris pour un modeste artisan comme moi qui se dit "mais la nature a quand-même encore des réponses à nous apporter quand on a à questionner une évolution". Le Centre Français d’Innovation Culinaire, tout comme la Chaire de la cuisine du futur, créés au sein de l'université Saclay par Thierry Marx et Raphaël Haumont, ont pour but d'innover et de comprendre les enjeux liés aux ressources. Leurs deux fondateurs s'inspirent aujourd'hui du vivant pour mieux prendre en compte le cycle de l'eau en cuisine. - Une cuisine, c'est un milieu clos. Il y a des légumes, des fruits, des choses qui arrivent. Il va falloir les cuisiner, les transformer. Mais c'est intéressant justement de faire ce dessin de recyclage. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l'eau est un élément important ! Ce n'est pas gratuit, ce n'est pas un truc comme ça qui est inépuisable, et puis on y va et… - C’est en ré-observant la nature, qu'on va pouvoir se dire "mais une feuille récupère de l'eau, un arbre a besoin de tant d'eau, etc". Donc pour nous, c'est la même chose. Il faut arrêter de consommer, il faut utiliser les choses à bon escient. Quand vous avez mis un litre d'eau dans une recette, ça coûte 1,20 €, 1,30 €, 1,50€. À un moment donné, on s'est dit 2050, 2070, c’est le stress hydrique. En tout cas, il va falloir réfléchir à l'utilisation de l'eau. D’abord pourquoi on cuit des légumes dans une grande bassine d'eau ? En général, dix litres pour 500 grammes de haricots verts. Vous vous dites "ça n'a pas de sens". Un haricot vert, entre 70 et 80 % d'eau, il suffit de rajouter 2 grammes ou 10 grammes d'eau pour faire cuire ces haricots verts dans de bonnes conditions. - Il faudrait que l'eau soit comptée comme un ingrédient dans la recette. 100 grammes de farine, deux œufs, un verre de lait,... et 35 centilitres d'eau. Donc, je cuisine de l'eau avant tout. Il y a très peu de gens qui ont conscience de ça. Je sais que l'eau va transporter avec elle les nutriments et les saveurs. Il va peut-être falloir réfléchir sur une nouvelle casserole, une nouvelle cocotte. Donc aujourd'hui, il y a des outils qui se développent. On va enfermer l'aliment. On le comprime un peu sous vide et on va le cuire dans sa propre eau. Au pire, on rajoute une cuillère à soupe. - Ces nouvelles casseroles, récupération des saveurs d'abord. Économisons l'eau, donc ce couvercle. Ensuite, les matériaux pour faire cette casserole ou ce faitout pour réduire un peu ces besoins de convection et d'énergie. Et puis comprendre ce que c'est qu'une cuisson. Pourquoi on cuit à ébullition ? Est-ce que ça a du sens de demander une puissance énergétique folle alors que rien n'a besoin de cuire à ébullition ? - Donc ici, on travaille sur une cocotte où on réduit la pression. On travaille sur le four de demain avec une porte complètement étanche et hermétique. Et thermostat deux, thermostat sept. Et aussi, on va jouer sur la pression. Mais derrière, il y a aussi des vrais enjeux pour le grand public, pour des millions de personnes à nourrir, de se dire finalement, on va faire ce four en récupérant les vapeurs, cuire à l'étouffée. - C’est là où la nature continue de nous inspirer. La nature a évolué en fonction de sa survie et pas en fonction d'une consommation effrénée. Prenez juste le temps d'observer la nature, du lever du Soleil au coucher du Soleil. Et vous dites Whaouh ! Ouais, j'ai encore pas mal de choses à apprendre. Et tout ce rapport que j'ai entre la nature, l'artisanat et les sciences, pour moi, c'est un lien du vivant naturel. Comprendre le vivant et renouer notre lien avec lui est la promesse d'une cuisine plus respectueuse de son impact environnemental et qui prend en compte l'avenir de l'eau, mais aussi celui des sols et de la biodiversité.
Réalisation :
Thomas Marie
Production :
Universcience, La Belle Société Production, CNRS Images, MNHN, Ademe, Cerema, Région Normandie, Région Nouvelle-Aquitaine, Institut des Futurs souhaitables, Ceebios, avec la participation du Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires
Année de production :
2023
Durée :
6min09
Accessibilité :
sous-titres français