Ceci est de la Salvia hispanica, plus connue sous le nom de chia, une plante millénaire originaire du Mexique. Une plante et un aliment : ses graines peuvent en effet être consommées. C'était d'ailleurs un aliment de base pour les civilisations précolombiennes comme les Aztèques. Nous ne sommes pourtant pas en Amérique du Sud, mais dans le Tarn, à une quarantaine de kilomètres de Toulouse. Ici, c'est bien de la chia “made in France” qu'on est en train de récolter. Cette variété de chia, appelée Oruro, a été créée par Frédéric Poujaud, semencier, qui a découvert cette graine lorsqu'il travaillait en Amérique du Sud. Quand j'ai entendu parler de cette graine, je me suis dit que c’était fantastique. C'est une plante vierge qui n'a jamais été travaillée. Elle n'a pas connu d'évolution puisqu'elle est toujours restée dans son berceau. L'objectif était surtout de travailler sur cette espèce tropicale pour pouvoir l'adapter à nos régions tempérées, pour qu'elle puisse pousser, mais également fleurir et arriver au stade du grain. Le principe a été de travailler sur des populations avec une variabilité génétique suffisamment ample pour réussir à trouver des mutations à l'intérieur de cette population, avec le caractère sensibilité à la photopériode, ce qui fait qu'aujourd'hui la plante fleurit avec des jours long et arrive à faire des graines avant l'arrivée des premiers froids. L’opération nous a pris un peu plus de dix ans. En 2017, la chia Oruro obtient enfin l'autorisation de l'Union européenne pour être cultivée et produite en France comme nouvel aliment. Mais pourquoi ? Cela n'est pas pour le goût de ces graines car, soyons honnêtes, du goût, elles n'en ont pas ! Alors, quelles sont les vertus de la chia ? Elle apporte des teneurs en protéines très intéressantes, assez élevées, à la moitié pratiquement de la graine de soja. Et puis, elle apporte une huile très riche en acides gras polyinsaturés qui ont un bénéfice santé très important. En fait, elle apporte des acides gras essentiels qui ne sont pas produits par le corps humain et qui servent pour produire d'autres acides gras très importants qui permettent de lutter contre les maladies cardio-vasculaires et qui servent à bien développer le système nerveux. C'est une plante qui ne présente aucune difficulté pour sa culture parce qu'elle ne demande pas beaucoup d'eau ou très peu. Deuxièmement, elle demande très peu d'engrais chimiques. Et le troisième point, c'est une plante qui a été introduite. Donc elle n'a pas de ravageur ou de maladie connue en France. Pourtant, la chia peine à se développer en France, où l'on en produit 400 tonnes par an. C'est peu comparé à la production mondiale estimée à plus de 300 000 tonnes. La plupart des petites graines viennent d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale. En France, quelque 150 agriculteurs en produisent car c'est une plante nouvelle pour laquelle on manque d'expérience. Elle est également assez peu connue des Français qui en consomment dix fois moins que les Allemands par exemple. Frédéric Poujaud veut donc inciter les agriculteurs à se lancer dans la culture du chia. Aujourd'hui, il rend visite à Émilie, agricultrice dans le Tarn. Elle cultive du blé, du soja, des légumineuses, des plantes aromatiques et de la chia depuis deux ans. Comme je suis motivée, je continuerai. Il n'y a pas de problème, mais c'est vrai que c'est quand même compliqué d'obtenir sur une grosse surface un grand rendement si on peut parler de rendement. Pour moi, ça reste une plante que je poursuivrai. Il ne faut pas s'arrêter au bout de deux ans. Comme j'aime vraiment cultiver ce que je consomme, je me donne pour faire en sorte que ça fonctionne sur mes terres. Le défi, c'est d'arriver à produire en France avec un prix rémunérateur pour l'agriculteur afin qu’il puisse vivre de son travail et surtout qu’il garde sa motivation, sachant que sur le marché, une grande partie de la chia aujourd'hui est importée, avec des prix qui permettent même pas de couvrir les coûts de production pour la France. Pour inciter les agriculteurs, Frédéric Poujaud a créé en 2020 à Villemur-sur-Tarn une usine consacrée à la chia, au triage de la chia, équipée de caméras infrarouges. Le but est d'enlever 99,9 % des impuretés récoltées en même temps que la petite graine. Un investissement de 2,5 millions d'euros pour soutenir la production et développer la filière française. Nous, on reçoit les graines de chia brutes et effectivement, il y a tout un travail à faire. Il faut passer les graines de chia sur 4 machines pour arriver aux standards de qualité qui sont les 99,9 %. C’est de la chia qui vient de notre territoire en Occitanie. On l’a reçue et elle vient d'être séchée. Là, on a fait le contrôle à réception et on est à 30 % d'impuretés. Comme vous pouvez le voir, la chia n'est presque pas visible. Le but c'est d'arriver à ces 0,1 % d'impuretés. Et ce sont donc des sacs de graines quasiment purs qui se retrouvent dans les magasins. On la consomme dans les yaourts, les salades... Les soldats et les chasseurs aztèques, eux, la prenaient dans de l'eau. Car, autre propriété de la petite graine, elle produit beaucoup de mucilage. Une substance gélatineuse qui se gonfle au contact de l'eau. Et c'est cela aussi qui intéresse l'équipe de recherche d’Othmane Merah, qui travaille depuis six ans sur la chia et ses possibles applications. Ce mucilage est très intéressant. Ce sont des sucres qui sont autour de la graine, qui vont gonfler pour capter l'eau et créer un petit réservoir qui lui permet de germer, de s’installer même dans des conditions de sècheresse relativement importantes. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce fonctionnement biologique pour d'autres cultures ? On peut réfléchir, dans l'avenir, pour essayer d'exploiter ce mucilage, pour enrober d'autres graines qui peuvent dans ce cas-là résister à la sécheresse de manière importante. On commence à comprendre pourquoi les Aztèques l'appelaient la graine des dieux.