1 Avec le concours officiel du ministre des Postes M. Mandel la radiovision a quitté le domaine du laboratoire. Au studio des PTT les nouveaux appareils de transmission sont braqués sur les interprètes de cette séance de gala, diffusée par la tour Eiffel. Le 8 décembre marquera une date dans l'histoire de la science. "Des jours heureux il ne reste trace tout est couleur de la nuit Mais à 20 ans l'avenir efface le passé quand l'espoir luit A Paris il est là la nuit venue A Paris dans chaque faubourg A toute heure vous l'avez vu Rêve encore à l'amour" Les premiers essais de télédiffusion débute en 1935. Mais quinze ans seront encore nécessaires pour que le petit écran s'impose dans les foyers français. Téléviseur Philips 441 lignes dit "Niche à chien", 1949. Pour faire une télévision, prenez une radio, ajoutez-y l'image. En 1949, la technique est prête depuis longtemps. Le tube cathodique derrière l'écran produit les images. Il a été inventé en 1897 par le physicien Karl Ferdinand Braun. Et il ne servait jusqu'à présent qu'à faire des appareils de mesure électrique, les oscilloscopes. Les électrons, des petits grains d'électricité, sont produits à l'arrière et vont frapper l'écran à l'autre bout pour faire un point lumineux. Les lampes viennent directement des récepteurs radio où elles sont d'usage courant. Elles servent à transformer le faible signal capté par l'antenne en un courant assez fort pour le tube cathodique. Les lampes ont été inventées en 1908 par un certain Lee de Forest. Plusieurs transformateurs fournissent la tension nécessaire au bon fonctionnement de l'électronique. Son invention par Gaulard et Gibbs est encore plus ancienne : elle date des années 1880. Les résistances et les capacités sont aussi vieilles dans leur principe que la découverte de l'électricité. Au fond, de dos, est accroché le haut-parleur qui transforme le signal électrique en son. Ce modèle-ci est plutôt récent, Philips le vend depuis moins de trente ans. Rien de neuf en somme dans le téléviseur. Le coffrage en bois cache le montage électronique pour des raisons de sécurité d'abord, pour des raisons esthétiques ensuite. Au devant l'écran, le haut-parleur et quatre boutons... Un pour régler le son, un autre pour le contraste, un pour la luminosité et un dernier pour la netteté. Aucun ne sert à changer de chaîne. Normal : à l'époque en France il n'y en a qu'une. "Le rôle de la télévision (...) consiste à faire partie de la vie du téléspectateur." Pierre Viallet "Télévision portrait d'une machine" 1951 "Il faut s'introduire dans son appartement, le charmer, l'entourer, le soigner, le mijoter à feu doux et bientôt, si l'on est assez malin, habiter chez lui. Il convient donc de se mouler étroitement à ses préoccupations familiales et intellectuelles. Lui montrer l'événement en gros plan afin qu'il puisse y toucher : la façon de vider un merlan et de le rouler dans la farine, la jambe cassée d'un ministre, une pluie modérée sur une localité auvergnate près de laquelle on a précisément de la famille." Dès sa création le téléviseur est vu comme une nouvelle personne dans la famille. Ou comme un invité. Mais un invité qui se fait attendre. Il faut bien cinq minutes pour que les lampes chauffent et que la première image apparaisse à l'écran. Un invité difficile aussi : il faut régler la netteté de l'image, son contraste, sa luminosité à chaque allumage. Un ivité capricieux : tous ces réglages sont instables, il faut les refaire régulièrement. Dans les années 1950, le magnétoscope n'existe pas Les programmes télévisés sont le plus souvent en direct ce qui en fait d'ailleurs tout leur intérêt. Mais le direct exige des moyens techniques et humains considérables. Autre défi : l'équipement de la France en émetteurs. Paris est la seule ville équipée en 1951. La couverture complète du pays prendra plus de dix ans. Malgré tout, la télévision prend son envol. En 1965, 40% des foyers ont un récepteur. Elle devient un phénomène de société. Elle s'impose dans la vie de chacun. Alternative au direct, le télécinéma envahit les écrans. La télévision produit ses propres fictions qui s'adaptent au format étriqué de l'image. Le plan large du cinéma ne convient plus, on ne voit pas les détails. Il faut lui préférer les gros plans, plus faciles à comprendre. Les gros plans ne font pas peur aux acteurs de cinéma qui y sont habitués. Mais la télévision filme tout le monde, des inconnus comme des célébrités, et tout le monde peut être un jour dévisagé par la caméra. En 1962, alors qu'il passe dans l'émission "Gros plan" l'écrivain Jean Guéhenno explique : "Là dans cette grande lumière, sous toutes ces lampes, devant toutes ces machines qui me regardent et m'épient, et qui toutes braquées vers moi semblent toutes entrer en moi pour y détruire mes secrets, chacun de vous me voit et je ne peux pas lui échapper. Je ne peux pas me cacher, il faut que je parle même si je ne voulais plus parler, et que je remplisse le temps et le petit écran. Je ne peux pas vous échapper, je ne peux pas non plus échapper à la vérité."