1 En 1931, la société Conord propose sa nouvelle machine à laver le linge. Finie la corvée de lessive, lavage, rinçage, essorage, elle fait tout. Mais est-ce que ce sera suffisant pour lui ouvrir la porte des foyers français ? Machine à laver le linge Conord Révélation 1931 Le tambour à l'intérieur de la cuve émaillée brasse et essore le linge. Il est en position verticale comme c'est la norme dans de nombreux pays aujourd`hui encore. Un robinet commande l'évacuation des eaux usées. Une manette permet de passer du lavage à l'essorage, c'est-à-dire d'un lent mouvement de va-et-vient du tambour à une rotation rapide. Le capot bleu cache le moteur électrique et un système complexe d'engrenages et de courroies. Sa raison d'être : protéger le linge de la mécanique toujours un peu sale. Sur le côté encore une arrivée pour le gaz. Elle alimente une rampe de bruleurs qui chauffent l'eau dans la cuve jusqu'à ébullition. Faire bouillir le linge ! Une nécessité en France. La machine Conord copie en tout point les machines américaines, apparues il y a peu, sauf sur la question du chauffage de l'eau. Aux Etats-Unis, la machine à laver se branche sur le réseau d'eau chaude de la maison. Cela suffit aux ménagères américaines. Mais pas aux Françaises. Il faut faire bouillir sinon ce n'est pas propre. Laver le linge est plus qu'une histoire de technique. La première génération de machines à laver le linge, qui apparaît à la fin du XIXe siècle, imite encore plus ou moins les gestes anciens. Le linge est brassé, baratté, presque lavé à la main. L'essorage doit être doux : le linge est pressé entre deux rouleaux. Il ne se froisse pas. Avec la Conord, il y a un saut technique et presque saut dans l'inconnu. Cette deuxième génération de machine équipée d'un moteur électrique, de rouages, toutes ces choses si modernes a de quoi effrayer les ménagères. En réponse les publicités insistent sur le respect des traditions. "La machine à laver Conord résoud d'une manière parfaite le problème du lavage chez soi. Même pour les familles nombreuses". Extrait de la notice de la Conord Révélation : "La maîtresse de maison ne sera donc plus obligée de faire laver son large au dehors avec tous les désagréments que cela comporte mais elle pourra laver son linge chez elle et en plus des avantages d'économies elle ne verra plus arriver les jours de lavage comme un cauchemar mais au contraire comme une récréation et avec le plaisir d'avoir un linge sain, bien lavé, hygiénique qui n'aura pas été en contact avec le linge de personnes plus ou moins douteuses ce qui a parfois de telles répercussions sur la santé". En effet, la ménagère ne fait plus la lessive au dehors. Mais ce n'est pas encore de tout repos. On commence par enlever le cylindre d'essorage puis on introduit l'agitateur en aluminium et enfin le linge. On remplit la cuve d'eau, on allume le gaz. La lessive va pouvoir commencer. Trente minutes plus tard opération inverse, on enlève le linge, l'agitateur, on remet le cylindre d'essorage on remet le linge, tout le linge ! Sans oublier de garder un œil sur le contenu de la machine... Vidange ! Le linge est propre. Le Grand Palais qui se transforme chaque année en temple de l'automobile ou de l'aviation abrite aujourd'hui un salon beaucoup plus modeste mais qui jouit d'une très grande faveur populaire et attire plus de visiteurs en quelques heures qu'une exposition de peinture en un mois. Il s' agit du 10e Salon des arts ménagers. Nous retrouvons comme d'habitude l'aspirateur de poussière, le fer à repasser électrique, la cafetière automatique, la machine à laver le linge et celle à laver la vaisselle. Et cent autres objets mécaniques, électriques, automatiques que nous considérions il y a quelques années comme des curiosités mais qui nous sont devenus si familiers que nous les cotoyons aujourd'hui sans presque les honorer d'un regard. Les salons des arts ménagers sont là pour convaincre les Français de s'équiper, voici venue l'occasion rêvée pour les femmes de devenir des ménagères accomplies. Les arts ménager sont élevés au rang de science. On publie une abondante littérature pour expliquer comment gagner du temps dans ces travaux domestiques. Par exemple, en organisant sa lingerie de façon à avoir un parcours rationnel. Mais tous les salons des arts ménagers ne servent à rien : la machine à laver électrique ne se vend pas. La France encore largement rurale n'en a pas besoin. Sans parler de l'électricité qui n'alimente qu'une minorité de citadins. Le temps de la machine à laver, ce sera après la Seconde Guerre mondiale. Les infrastructures se développent, l'électricité arrive partout. A partir des années 1960, le programmateur enchainant lavage, rinçage, essorage, équipe les machines. Progrès technique, qu'accompagne aussi un changement de mentalité : la tradition n'est plus à l'honneur : faire bouillir le linge n'est plus nécessaire. Le tambour horizontal qui lave mieux se généralise. La machine à laver, après bien des résistances s'impose dans les foyers et bouleverse le quotidien des femmes. Entre temps le linge a perdu son prestige d'antan. Le blanc est dépassé, voici venu le temps de la couleur...