« Mesurer le bonheur »
On aimerait parfois pouvoir mesurer le Bonheur… Mais est-ce seulement possible ? On entend souvent dire que l’augmentation de notre bien-être dépend directement de la croissance économique. Plus la croissance est forte, plus notre situation est censée s’améliorer. Pour 2019, la Banque Mondiale estimait la croissance annuelle mondiale à 2,36%, inégalement répartie selon les régions du monde. Elle était de 6,11% en Chine, elle s’élevait même à 18,7% au Timor oriental… …alors qu’elle était de 2,16% aux États-Unis, de 1,51% en France et de 0,56% en Allemagne. Est-ce à dire que l’on vit mieux au Timor Oriental qu’en Europe ? Regardons ce que disent vraiment ces chiffres. La “croissance économique” mesure l’augmentation, sur une période donnée, du Produit Intérieur Brut ou PIB, qui, lui, essaie de calculer la richesse qui a été créée, sur une période donnée, dans un endroit précis, c’est-à-dire la « valeur » qui a été « ajoutée » par l’activité économique. Il y a de la valeur ajoutée dans la production de tous les biens matériels. C’est la différence entre la valeur des composants, comme de la farine et de l’eau, de la toile et du fil à coudre, de la tôle et des boulons… et la valeur des objets fabriqués, comme du pain, un vêtement ou encore un char d’assaut… Il y a de la valeur ajoutée dans les services marchands, comme la restauration, les loisirs, les assurances… mais aussi dans les services non marchands, fournis par les organismes privés à but non lucratif ou les services publics, comme l’éducation, le système de santé, la police, la justice… où l’on estime que leur valeur ajoutée est égale à la somme d’argent qui leur est consacrée. Le PIB est donc un agrégat de données hétérogènes, qui varie selon l’activité économique. Ainsi une croissance économique de 0,56% en Allemagne équivaut à une augmentation du PIB de 21,788 milliards de dollars quand 18,7 % de croissance au Timor Oriental signifie une augmentation du PIB de 199 millions de dollars, ou quand 1,8% de croissance au Burundi signifie une augmentation du PIB de seulement 43 millions de dollars. Les 2 pays les plus riches du monde sont, de loin, les États-Unis et la Chine, mais pour mieux voir les écarts entre les pays, il est bien plus pertinent de calculer le PIB par habitant. Sans surprise, la datavisualisation montre parfaitement la différence entre les pays les plus riches, au nord, et les pays du sud, au PIB par habitant plus faible. L’inégalité géographique est encore plus visible lorsqu’on utilise une visualisation par la couleur : plus les pays sont riches, plus ils sont colorés en violet, plus ils sont pauvres, plus ils sont orange. Les 3 pays du monde, où l’on est le plus riche, sont le Luxembourg, les Bermudes, et la Norvège. Et les 3 pays où l’on est le plus pauvres sont la République Démocratique du Congo, la République Centrafricaine et le Burundi. Mais le PIB, même rapporté au nombre d’habitants, a ses limites. Il exclut les plus-values boursières, tout comme le bénévolat et le travail domestique, comme la cuisine ou la garde d’enfants… qui pourtant génèrent de la richesse, et il peut au contraire intégrer des activités criminelles et illicites : depuis 2014, l’office européen de statistiques, Eurostat, demande aux États d’inclure le trafic de drogue et la prostitution dans le calcul du PIB. Par ailleurs le PIB n’inclut pas les effets négatifs de la production. La fabrication d’une voiture, par exemple contribue au PIB, sans que l’on prenne en compte ses conséquences sur la santé et sur l’environnement. Le PIB est indifférent à la soutenabilité de l’activité économique : l’épuisement des ressources, les changements sociaux et les dégâts environnementaux, ont des effets sur le futur, et donc sur notre bien-être à venir. Pour pallier ces lacunes, des économistes ont travaillé à mettre au point d’autres indicateurs de bien-être. En 1990, le Programme des Nations Unies pour le Développement (UNPD) a créé l’IDH, l’Indice de Développement Humain, qui évalue de 0 à 1 le niveau de développement d’un pays selon trois données : • le niveau de vie, estimé via le revenu national brut par habitant ; • la santé, d’après l’espérance de vie à la naissance ; • et enfin l’accès à l’éducation. L’IDH recompose le classement des pays. Mais comme on le voit lorsque nous appliquons à l’IDH notre datavisualisation par couleur, à quelques rares exceptions près, les pays avec un fort PIB par habitant ont un IDH élevé, et inversement, les pays pauvres ont un faible indice de développement. En outre, l’IDH est une moyenne nationale, qui masque les inégalités à l’intérieur des pays. C’est pourquoi en 2010, est mis au point l'IDHI ou l’Indice de Développement Humain, ajusté aux inégalités. On constate alors une diminution de l’indice de développement dans tous les pays du monde, dans les pays les plus pauvres, comme par exemple en République Centre-Africaine, où la perte d’IDH est de 41,6%, mais aussi dans les pays riches, comme en France ou en Allemagne où les inégalités font chuter l’indice de développement humain de 9% et 8,2 %. Par ailleurs, l’IDH des hommes et l’IDH des femmes sont parfois bien différents. Ainsi, en Iran l’IDH est le 52e pour les hommes, mais le 92e pour les femmes. Alors comment mesurer le bien-être ? Depuis 2012, l’ONU publie annuellement le “Rapport sur le bonheur dans le monde“ qui classe 153 pays selon le ressenti subjectif des populations sur un certain nombre de points, évalué sur une échelle de 1 à 10. Pour la période 2017-2019, les 5 pays figurant en tête sont : la Finlande, le Danemark, la Suisse, l’Islande, la Norvège. Et les 5 pays en bas du classement sont la république Centrafricaine, le Rwanda, le Zimbabwe, le Sud Soudan et l’Afghanistan. L’Allemagne est 17ème et la France 23ème À nouveau, comme pour l’Indice de développement humain, une forte corrélation se dégage entre l’indice de bonheur et le PIB par habitant : parmi les 60 pays au PIB par habitant le plus élevé, on trouve les 41 premiers pays à se dire les plus heureux. Est-ce à dire que, finalement, le PIB fait le bonheur ? Pas vraiment, car l’idée du bien-être dans certains pays déjoue les paramètres économiques, comme le Guatemala qui se situe, à 122e place en termes de PIB par habitant et à la 102e place en termes d’IDH mais à la 28e place en termes d’indice de Bonheur. Croissance, PIB, IDH, IDHI, indice de bonheur… toutes ces data voudraient traduire notre bonheur en chiffres, et cela s’avère très complexe. Ce qui semble, en revanche, assez clair, c’est que faire du calcul de l’accroissement des richesses le principal critère conduit à ignorer bien trop d’autres aspects essentiels à notre bien-être. et que la croissance économique ne peut plus être considérée comme la seule et unique condition à notre bonheur.