Voici un trésor de quelques milligrammes de matière extraterrestre. Dans ce laboratoire du Sud de la France sont arrivés des échantillons de la mission Osiris-REx envoyés par la NASA. Pour accéder à ces précieux grains, il faut d'abord s'équiper pour entrer dans une salle blanche. Pas question ici de les mélanger à de vulgaires poussières terrestres.
- Allez, on y va.
- Tu peux le positionner ici.
Le professeur Guy Libourel et le post-doctorant Vincent Guigoz sont en charge de cette étude.
- Nous, on arrive vraiment à la fin de toute cette mission, d'où une certaine responsabilité. On a reçu une toute petite quantité, à peine 100 milligrammes.
- Ça, c'est quand même incroyable ! On a l'impression de voir, en trichant un peu, mais... la surface de Bennu, comme si on y était. C'est très sombre, très noir, presque comme du charbon. On voit par ailleurs la réflectivité de certaines phases. La lumière est réfléchie, comme si c'était des petits miroirs. Ça nous donne effectivement l'indication que la minéralogie de ces échantillons va être hétérogène, pas monotone. Ça ne va pas être les mêmes phases.
Et pour étudier leur composition chimique, les grains sont sélectionnés un par un à l'aide d'un pinceau microscopique.
- J'ai un pinceau sur lequel on a coupé presque tous les poils à la pointe, sauf quelques uns, ce qui permet de faire une espèce de pince qui va venir agripper le grain qui nous intéresse. On va les poser sur un plot qui est en fait composé d'un scotch double face pour pouvoir ensuite les observer par microscopie électronique.
Mais avant d'arriver là, ces grains ont effectué un sacré voyage depuis l'astéroïde Bennu. Petit rappel des faits. Lancée en 2016, la sonde Osiris-REx a mis deux ans pour atteindre sa cible. Et encore deux ans pour la scanner sous toutes ses coutures. Puis en 2020, elle est venue au contact avec son système pour collecter les échantillons. Une sorte de robot-aspirateur de l'espace. Une fois la précieuse cargaison sécurisée dans une capsule, celle-ci a été renvoyée sur Terre pour atterrir enfin dans le désert de l'Utah, le 24 septembre 2023. Après 7 ans de voyage et plus de 6 milliards de kilomètres parcourus, les scientifiques américains ont pu enfin mettre la main sur leur précieux butin. À l'intérieur, plus de 70 grammes de matière ont été collectés, malgré deux vis qui ont empêché l'ouverture complète du conteneur principal. 100 milligrammes ont été envoyés en France au laboratoire CRHEA du CNRS, spécialisé dans l'étude des matériaux.
- Alors ça, c'est le conteneur tel qu'on l'a reçu de la NASA. Il a été décidé de nous envoyer les échantillons par FedEx.
- Attention, tu es filmé aujourd'hui.
- Ça va ?
- Oui, ça va.
- C'est la forme ?
- On était tous dehors en train de le filmer, de rigoler, avec bien sûr un peu d'émotion. Il a d'ailleurs été très déçu car le lendemain, apparemment, il y avait moins de monde pour le filmer.
Comme aux États-Unis, la capsule a été ouverte dans une boîte à gants où l'oxygène est remplacé par de l'azote. Les quelques grains sélectionnés sont encapsulés dans une résine, puis polis pour être observés avec un microscope électronique à balayage, qui offre une technique d'analyse particulière maîtrisée au CRHEA et appelée cathodoluminescence.
- Au sein d'un microscope électronique, on vient exciter le matériau avec un faisceau d'électrons. L'interaction des électrons avec la surface produit beaucoup de choses. Des électrons sont rétrodiffusés et on peut faire des images. C'est le mode classique d'imagerie de la microscopie électronique. L'interaction de ces électrons avec la surface va également produire, si le matériau s'y prête, de la luminescence, donc le matériau va émettre des photons. C'est une technique qui est au final très sensible et on est capable d'identifier la présence d'éléments à des concentrations vraiment très faibles. C'est une technique qui est très rapide et très sensible.
- On appelle ça des framboïdes, dans le jargon. Effectivement, ça ressemble un peu à des framboises. Ça, c'est des oxydes de fer. On voit aussi leurs formes géométriques, qui traduisent le fait que ce sont des minéraux qui ont cristallisé. Dès qu'on passe en cathodoluminescence, on s'aperçoit qu'on a une décoration, différents épisodes de croissance ou de dissolution. Bref, on a presque toute l'histoire de la cristallisation de ce grain qui nous est révélée. C'est un peu comme si on avait un livre fermé. On sait que c'est un thriller, par exemple, mais on ne connaît pas l'histoire. Nous, la cathodoluminescence, ça nous permet d'ouvrir le livre et de tourner les pages, et en gros, de raconter l'histoire.
Une histoire chaotique qui remonte à l'origine même de notre Système solaire, il y a plus de 4,5 milliards d'années. L'astéroïde Bennu est donc plus ancien que notre planète. Il est une sorte de capsule temporelle qui donne accès à une matière primitive et dans laquelle ont été détectées des traces d'eau et des composés organiques.
- Ces cailloutis de Bennu sont caractérisés par, en premier, des phases hydratées. Des phases hydratées, ce sont des phases de type argile qui contiennent donc de l'eau. L'eau n'est pas sous forme de H2O, mais sous forme de OH. Ça, ça nous renseigne sur un milieu qui est nécessairement aqueux, dans lequel s'est formé Bennu. Deuxièmement, on a la richesse de ces objets en matière organique. Pour la matière organique, on parle d'acides aminés, de molécules relativement complexes. Une des questions qui est posée, c'est bien sûr : est-ce que ces molécules sont les progéniteurs qui ont ensemencé la Terre, avec ces molécules très primordiales qui petit à petit ont donné la vie que nous connaissons sur cette planète ?
L'ensemble de ces analyses feront l'objet d'une première vague de publications scientifiques dans les mois à venir. De leur côté, les chercheurs de la NASA ont réussi enfin à ouvrir début janvier le conteneur principal, grâce à des outils sur mesure pour venir à bout des deux dernières vis qui étaient restées bloquées. La mission Osiris-REx semble donc bien s'achever avec un succès. mais ce n'est que le début des analyses autour de ces poussières d'astéroïdes, dont une partie sera conservée pour les générations futures.