Armageddon... Deep Impact.... Don’t Look Up... Le point commun de ces films, vous le connaissez certainement : un corps céleste qui menace de s’écraser sur la Terre et d’anéantir l’espèce humaine.
De la science-fiction ? Oui, mais pas seulement.
En 2013, un météore de 20 mètres de diamètre se désagrège au-dessus de Tcheliabinsk, en Russie. L’explosion libère l’équivalent de 35 bombes d’Hiroshima, blessant 1 500 personnes et endommageant des milliers de bâtiments. Et personne ne l’avait vu venir.
Ici, les dégâts restent relativement mineurs. Mais selon leur taille, les astéroïdes sont capables de détruire des régions entières et de faire des milliers de victimes. Ou pire.
Alors, qu’est-ce qu’on fait si un gros et dangereux astéroïde nous menace ?
Et est-ce qu’on est prêts à éviter une collision aux conséquences potentiellement catastrophiques ?
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En fait, pendant longtemps, les objets géocroiseurs, c'est-à-dire un astéroïde ou une comète qui croisent l’orbite de la Terre, n'ont pas fait l’objet de grandes préoccupations.
Mais en juillet 1994, les astronomes assistent à un événement inédit : une collision entre la comète Shoemaker-Levy 9 et Jupiter. C'est un véritable choc.
MICHEL : “Pour la première fois, l'être humain voyait par lui-même une collision se produire. Ça a été un moment révélateur, au moins politique, puisque c'est à l'issue de cette prise de conscience, que le Congrès américain, en 1998, a demandé à la NASA de faire l'inventaire de tous les objets plus grands qu'un kilomètre potentiellement dangereux en dix ans.”
C’est le début de la “défense planétaire” : c’est-à-dire toutes les mesures qui visent à prévenir les collisions avec la Terre... ou à en limiter les conséquences
Et le premier axe de cette défense planétaire : c’est donc le recensement.
Pour faire simple, il y a deux grandes catégories de géocroiseurs, les plus dangereux en cas d’impact :
- La première : c’est les plus de 140 mètres de diamètre, soit au moins une demie Tour Eiffel. À partir de cette taille, les objets peuvent faire des dégâts à l’échelle d’une région, voire d’un pays. Par exemple : avec un tel objet, Paris et toute l’Ile-de-France seraient rayées de la carte à cause de l’onde de choc et des incendies provoqués par l’impact.
- Mais il y a pire : les plus d’1 kilomètre de diamètre, soit au minimum la moitié des Champs-Elysées. A partir de cette taille, ils peuvent provoquer une catastrophe à l’échelle planétaire. Au menu : tsunamis, tremblements de terre, hivers nucléaires et à la clef : des disparitions d’espèces... dont la nôtre.
L’astéroïde le plus connu de cette catégorie est bien sûr celui qui a provoqué l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années. Il faisait 10 km de diamètre.
Pour repérer ces objets, la NASA a lancé plusieurs programmes de détection et de surveillance qui s’appuient sur des télescopes terrestres et spatiaux.
Bilan: À la fin de 1998, on recensait 635 astéroïdes géocroiseurs.
En 2024: on en compte plus de 36 000.
Aujourd’hui, la NASA estime que 95% des objets de plus d’1km ont été découverts.
Et pour les 140 mètres et plus, c’est seulement 44%.
Pourquoi “si peu” ? Eh bien parce que repérer les astéroïdes n’est pas si simple : plus ils sont petits, plus ils sont nombreux et difficiles à détecter.
Pour pallier ce problème, la NASA va lancer un nouveau télescope spatial infrarouge en 2027 : NEO Surveyor. L’objectif : parvenir à recenser 90% de ces objets en dix ans.
De son côté, l’Agence Spatiale Européenne espère aussi lancer un télescope infrarouge : NEOMIR, qui pourra repérer les astéroïdes de 20 mètres et plus qui se cachent dans la lumière du soleil.
Pourquoi l’infrarouge ? Parce qu’il permet de mieux mesurer la taille réelle des astéroïdes.
Mais concrètement, qu’est-ce qu’on risque vraiment ?
En fait, sur les 36 000 objets recensés par la NASA, seuls 2 400 sont dits “potentiellement dangereux”, c’est-à-dire dont l’orbite est considérée comme trop proche de celle de la Terre.
Et Aujourd’hui, c’est l’astéroïde 2024 Y4 qui représente la plus grosse menace, avec un risque de collision d’environ 2% en 2032.
Mais il ne mesure qu’entre 40 à 90 mètres de diamètre et cette estimation pourrait être revue la baisse dans les prochains mois.
Parmi les astéroides de + d’1 kilomètre, c’est
Par exemple : 1950 DA, le géocroiseur avec la plus forte probabilité d’impact n’a que 0.038% de chances de rencontrer la Terre en 2880.
Ils font l’objet d’une surveillance particulière et bonne nouvelle : aucun ne nous menace pour le prochain siècle.
Au global : on estime qu’un astéroïde d’1 km ou plus frappe la Terre tous les 500 000 ans et pour les 140 mètres c'est plus de 13 000 ans.
Les risques sont donc très faibles. Mais pas suffisamment pour ne rien faire.
Comme on l’a vu plus tôt, tous les objets n’ont pas été découverts. Et la trajectoire des astéroïdes est difficilement prévisible
MICHEL : “Bien sûr risque zéro n'existe pas. Ce qu'on fait, c'est surtout s'assurer qu'on est prêt le jour où ça interviendra, de telle sorte qu'on n'ait pas à improviser. Parce qu'improviser, c'est très risqué vu les conséquences. Avec en plus l'avantage qu’on peut prédire et prévenir ce risque avec des moyens raisonnables et qu'on est en train de mettre en œuvre.”
Ces moyens, comme on vient de le voir, c’est la détection et la surveillance.
Mais il y a aussi... les travaux pratiques.
Et ça, c’est le deuxième volet de la défense planétaire : la gestion d’un possible impact.
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Dans les films, la meilleure solution, c’est souvent de faire exploser l’astéroïde à grands renforts de bombes nucléaires.
Mais dans la réalité, ce n’est pas une très bonne idée.
MICHEL : “C'est très dangereux ! On risque de se retrouver avec plein de fragments qui impactent différents endroits de la Terre et donc on n'aura pas amélioré le problème.”
Et en plus : c’est tout simplement interdit par les traités internationaux depuis les années 1960.
Mais les scientifiques sont en train de mettre au point une autre technique... qui n’a rien à envier à la fiction...
Nous sommes le 27 septembre 2022, à 11 millions de kilomètres de la Terre. Il est 1h14 du matin, heure française.
Sur ces images, on assiste aux derniers instants de la sonde DART, qui va s’écraser à plus de 20 000 km/h sur Dimorphos, le satellite de 150 mètres de l’astéroïde Didymos.
Le moment est historique : c’est le premier test grandeur nature d’une stratégie de défense planétaire. Et jusqu’ici le dernier.
Extrait : “We showed the world that NASA is serious as a defender of this planet”
“Nous avons montré au monde que la NASA prend son rôle de défenseur de cette planète très au sérieux.
Synthé : Bill Nelson, ancien administrateur de la Nasa
Mais pourquoi la Nasa a-t-elle dépensé 325 millions de dollars pour envoyer ce petit vaisseau si loin pour se crasher délibérément ?
Eh bien, l’idée, c’est de dévier la trajectoire de Dimorphos... en lui rentrant dedans. Un peu comme une boule de billard qui tape dans une autre.
C'est la technique dite de “l’impact cinétique”.
Et ça a marché : la période orbitale de Dimorphos, soit le temps qu'il met pour faire le tour du corps principal, a été réduite de 33 minutes.
Mais il manque encore beaucoup d’informations pour valider cette méthode et la reproduire de façon fiable le jour où cela ne sera plus un exercice.
Pour cela, il faut retourner sur place. Et c'est le rôle de la sonde Hera, de l’Agence Spatiale Européenne, qui a pris son envol le 15 octobre dernier.
Les premières mesures commenceront en décembre 2026.
MICHEL : “Il y a le volet défense planétaire. Quelle est la quantité de déviation produite ? Quel est le résultat de cet impact que les modalisations doivent pouvoir reproduire pour être validées à la bonne échelle et utilisés pour d’autre scénarios de déviation ?Mais il y a aussi le volet scientifique. Parce qu'on aura sa structure interne. On a encore beaucoup à découvrir parce que ces objets ont une grande diversité et en plus, leurs réactions aux sollicitations externes qu'on leur fait subir ne sont jamais jusqu'à maintenant celles attendues.”
Aujourd’hui, l’impact cinétique est la technique privilégiée par les scientifiques.
Mais il y a deux limites.
La première, c’est le temps : on estime qu’il faudrait au moins 10 ans pour mettre en place un plan de défense planétaire qui utilise l’impact cinétique.
Et la deuxième limite, c’est que cela risque de ne pas marcher sur les plus gros astéroïdes.
Dans ce cas, une autre solution pourrait faire l’affaire : l’explosion nucléaire.
Je sais ce que vous allez me dire : c'est interdit par la loi. Alors oui, mais les scientifiques étudient quand même cette option. Et ça, c'est légal.
Ici, l’idée, c’est de ne pas exploser l’astéroïde, mais de le dévier.
En fait, une explosion nucléaire libère une puissante bouffée de chaleur, des neutrons et des rayons X, un peu comme une bulle d’énergie.
Cette bulle d’énergie va vaporiser la surface de l’astéroïde, c’est-à-dire qu’elle va passer à l’état gazeux. Un peu comme de l’eau qui bout, mais en beaucoup plus puissant et en beaucoup plus rapide.
Cela va générer une sorte de propulsion, comme un moteur de fusée, qui va envoyer l’astéroïde dans une autre direction et donc le dévier de sa trajectoire.
Mais en pratique, est-ce que ça marche ?
Comme il n’est pas possible de faire un test en conditions réelles, la solution, c’est de le faire en laboratoire.
MOORE : “There have been many theoretical predictions over the past several decades. And until you actually test it, you don't know if the theory is valid.”
Lui, c’est Nathan Moore. Il est physicien pour Sandia, l'un des laboratoires impliqués dans la dissuasion nucléaire américaine.
Avec son équipe, ils ont reproduit l’effet d’une explosion nucléaire sur un astéroïde miniature à l’aide de la machine Z, le plus puissant générateur de rayons X au monde.
Ils ont placé un petit fragment de silice dans la machine et l’ont bombardé d’une énorme impulsion de rayons X issue d’un plasma d’argon, équivalente à l’énergie de 3 réacteurs au centimètre carré. Résultat : la cible a été projetée dans la direction opposée à 250 km/h.
MOORE : “It's a breakthrough. It shows that we have a way to deflect large asteroids. Our experiment was the first to show that this idea would actually work. (...) It's extremely powerful. But in fact, it worked slightly better than we expected.”
Selon leurs modélisations, un dispositif nucléaire d’une mégatone, soit 60 fois celle d’Hiroshima pourrait dévier un astéroïde de 4 kilomètres de diamètre.
Il faudrait qu’elle explose à quelques kilomètres de la cible mais à des millions de kilomètres de la Terre pour des raisons évidentes de sécurité.
Maintenant, l’objectif est de répéter l’expérience avec d’autres types de minéraux.
MOORE : “Asteroids come in many flavors. So far, we've only studied one type of mineral, silica, which is like glass. It's important to understand how (...) different types of asteroids would respond during a mission like this. These experiments give us a way to understand the science of asteroid deflection that has never been possible before.”
Il existe d’autres techniques à l’étude : le voile solaire, le tracteur gravitationnel, le laser ou même... la peinture.
Mais la déviation par impact cinétique ou explosion nucléaire sont les plus crédibles et les plus avancées.
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Ok, on a la technologie. Mais concrètement, comment on s’organise si demain on détecte une menace ?
Pour cela, deux groupes ont été créés à l’ONU le 15 février 2013. Coïncidence : c’est le même jour que l’explosion du météore de Tcheliabinsk, dont on a parlé au début de cette vidéo.
Le premier groupe : c’est le “réseau international d’alerte des astéroïdes,” qui réunit des experts capables d’évaluer la menace et d'alerter si nécessaire.
Dans ce cas, il prévient la deuxième entité : le Groupe conseil de préparation de missions spatiales, qui réunit une quinzaine d’agences spatiales.
C’est lui qui sera chargé de mettre en œuvre une action internationale coordonnée, comme une mission de déviation par exemple.
Et pour s’entraîner, il y a la Conférence de défense planétaire. Tous les deux ans, des experts doivent plancher sur un scénario fictif d’impact et tenter d’éviter la catastrophe.
MICHEL : “C’est une sorte de jeu de rôles (...). Et jusqu'à maintenant, d’ailleurs, on n'a jamais réussi à éviter l’impact (...) Mais ça a un avantage, c'est que ça nous permet de penser à tous les scénarios possibles. Et puis ça impliquera de nombreux pays le jour où ça arrive, donc autant s'organiser dès maintenant et s'assurer qu'on est tous sur la même longueur d'onde. Et ça semble être le cas.”
Il reste cependant de nombreuses questions : Par exemple : la Chine, qui développe son propre programme de défense planétaire et les Etats-Unis accepteront-ils de coopérer ? Il faut rappeler que malgré les recommandations de l’ONU, les Etats restent libres de leurs décisions.
Autre chose : si on ne peut pas éviter une collision, où fait-on tomber l’astéroïde ?
Ou encore, qui est responsable si une mission échoue ?
L’avantage, c’est que malgré les nombreux défis qui restent à relever, nous avons encore plusieurs années devant nous pour être au point.
MICHEL : “On n’est pas encore prêts, mais on avance.... Il faut pratiquer, il faut comprendre. Notre responsabilité, c'est de pouvoir offrir aux futures générations, on l'espère, un plan robuste. Comme je dis toujours, les dinosaures aurait bien aimé avoir une agence spatiale.”