1 1951 : la France est un vaste chantier. Il faut reconstruire ce que la guerre a détruit et développer de nouvelles infrastructures. Détournée de son usage premier une machine nouvelle va prendre part à la reconstruction de la France. Pelle hydraulique Poclain TU n°0, 1951. Le cœur de la pelle hydraulique c'est son compresseur. Dans ce cœur en guise de sang plusieurs litres d'huile sous pression qui vont irriguer l'ensemble de la machine et la mettre en mouvement. Le réseau de veines et d'artères, c'est ici un mélange complexe de tuyaux souples et de tubes métalliques. Partant du compresseur ils vont d'abord vers le poste de commande, le cerveau de la machine en quelque sorte. Les manettes, quand elles sont actionnées, libèrent l'huile sous pression vers les différents vérins. Ces vérins tirent profit d'un principe physique simple qui transforme la pression de l'huile relativement modeste en une force énorme qui fera mouvoir le bras de métal ou faire pivoter l'engin sur lui même. A la tête le godet. Pas de vérin hydraulique, un simple cliquet qui le libère... En 1927 le futur patron de Poclain un certain Georges Bataille crée une société de réparation de matériel agricole. Rapidement il se lance dans la conception et la fabrication d'engins nouveaux : wagonnets à chenilles pour les betteraves, chariots à trois roues, fardier à purin. Après la 2de Guerre mondiale, l'entreprise se développe. En 1951 sort la pelle à fumier TU n°0. Son prix défie toute concurrence puisqu'elle ne possède pas de moteur mais utilise l'énergie du tracteur qui la tire. La petite histoire raconte que l'exploitant d'une carrière de pierres la voyant dans un salon agricole insiste pour l'acheter, l'emporte puis revient avec une liste d'améliorations. Le bureau d'études s'y intéresse : c'est le début de Poclain fabricant d'engins de chantier. La première pelle Poclain n'est cependant qu'un prototype qui a particulièrement bien réussi. Il reste encore de nombreux points à améliorer. Impossible par exemple pour elle de faire un tour complet. Pour se déplacer elle dépend d'un tracteur : Pas de problème si on veut décharger du fumier mais c'est autre chose quand il s'agit de creuser une tranchée. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France entame sa reconstruction et s'équipe. On explore systématiquement tous les sites montagneux pour y implanter des barrages hydroélectriques. L'Etat s'engage dans une politique de grands chantiers : remise en état de chemin de fer, des routes, construction de nouvelles autoroutes. Puis c'est au tour des ports et des aéroports de se moderniser. Mais c'est surtout le logement et l'urbanisation qui donne du travail aux engins de chantier. Plus d'un million de logements ont été détruits pendant le conflit. Ceux qui restent sont souvent vétustes. Il y a pénurie de logements, une pénurie aggravée par l'exode rural et le baby-boom. La construction devient une industrie, le préfabriqué s'impose dans les immeubles modernes. Entre 1945 et 1964, plus de 200 000 logements sortent de terre chaque année. La pelle TU n°0, détournée de son usage va se transformer au fil des ans pour s'adapter à sa nouvelle utilisation. En 1961, une grande sœur apparaît la TY 45. "La gamme complète des 30 équipements adaptables sur la pelle TY45 est présentée. Voici la benne 6 griffes à 6 vérins, le chargeur 500 litres, le puissant retro 300 litres le godet tranchée avec avec clapet éjecteur la benne reprise 400 litres pour toutes les manutentions, la pince à bois à orientation hydraulique, la benne betteraves, le chargeur but 400 litres, articulé comme un bras, ou le chargeur 800 litres pour les produits noirs. Le PDG du groupe Poclain demande alors à des designers de redessiner l'engin de chantier. Mais il ne s'agit pas simplement de donner bonne mine à la machine : Il faut forger une identité pour l'ensemble d'une gamme. Quelque soit le modèle on doit identifier la marque au premier coup d'œil. Mission accomplie : les Poclain marqueront les chantiers de leur couleur et de leur forme jusqu'en 1989 date à laquelle la marque sera rachetée. Les engins de chantier s'habilleront désormais presque tous de jaune. "Une grande époque vient de commencer. Il existe un esprit nouveau." Le Corbusier, Vers une architecture 1923. "L'industrie envahissante comme un fleuve qui roule à sa destinée, nous apporte des outils neufs adaptés à cette époque nouvelle animée d'esprit nouveau. (...) La grande industrie doit s'occuper du batiment et établir en série les éléments de la maison. Il faut créer de l'état d'esprit de la série, l'état d'esprit de construire des maisons en série, l'état d'esprit d'habiter des maisons en série, l'état d'esprit de concevoir des maisons en série. Si l'on arrache de son cœur et de son esprit les concepts immobiles de la maison et qu'on envisage la question d'un point de vue critique et objectif on arrivera à la maison outil, maison en série, saine et belle de l'esthétique des outils de travail qui accompagnent notre existence."
Réalisation :
Roland Cros
Production :
Universcience
Année de production :
2011
Durée :
9min04
Accessibilité :
sous-titres français