Souvenez-vous, en juillet : le Texas est submergé par des inondations meurtrières. Un État sous les eaux et un coupable tout trouvé : l'ensemencement des nuages. Un an plus tôt, même scénario, à Dubaï cette fois. Un déluge et des rumeurs... L'ensemencement des nuages est encore pointé du doigt. Tout ça, c'est faux ! Non, l'ensemencement des nuages n'a pas inondé ces régions. Mais pour autant, la technique est bel et bien réelle. Et elle est aussi très débattue. Mais alors, c'est quoi exactement l'ensemencement des nuages? Pourquoi on en parle maintenant ? Et surtout, peut-on vraiment provoquer la pluie ? Un nuage, c'est des gouttelettes en suspension dans l'air. Tant qu'elles sont trop petites et trop légères, elles restent là-haut. Mais lorsque les conditions sont favorables, elles commencent à s'agglomérer, à grossir, devenir assez lourdes... Elles tombent. Il pleut. L'ensemencement des nuages cherche justement favoriser ce processus. L'idée, c'est de modifier la météo en agissant directement à l'intérieur du nuage. Comment ? En y introduisant des particules pour stimuler la formation et la croissance de gouttelettes ou de cristaux de glace. On utilise de la neige carbonique, de l'iodure d'argent, voire du sel. Et pour disperser ces substances, on utilise des avions, des fusées ou des canons au sol, aussi appelés "générateurs". Une fois dans le nuage, ces particules servent de noyaux de condensation. Elles attirent autour d'elles des gouttelettes d'eau qui s'accumulent et s'accumulent, grossissent jusqu'à tomber. Une technique futuriste ? Pas tant que ça ! On parle de l'ensemencement depuis les années 1940 aux États-Unis. Et très vite, la méthode s'est exportée en Russie, en Chine, en Australie, au Brésil... Aujourd'hui, plus de 50 pays pratiquent l'ensemencement des nuages, y compris la France avec l'ANELFA. Une association créée en 1951 avec pour but de lutter contre un aléa bien précis : la grêle.
- On essaye d'intervenir au niveau du processus de grossissement des grêlons, à un moment particulier où il y a une sorte d'équilibre entre la quantité d'eau surfondue à l'intérieur du nuage et le nombre de noyaux de congélation qui intervient dans le processus. Aujourd'hui, l'ANELFA, c'est 1000 générateurs sur une vingtaine de départements. Pour couvrir une zone, l'association installe ses appareils à des intervalles de 10 kilomètres environ. On les retrouve chez des bénévoles, des agriculteurs en grande majorité, qui les déclenchent eux-mêmes sur alerte météorologique. En France, on utilise donc l'ensemencement des nuages dans un seul cas bien précis : la lutte contre la grêle. Mais ailleurs, c'est une autre histoire. En Inde, il sert notamment à disperser les brouillards de pollution. En Indonésie, à calmer les inondations. Aux États-Unis, à lutter contre la sécheresse. En Chine, c'est pour augmenter les réserves d eau, voire plus étonnant encore... pour éviter la pluie lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques. Et cette pratique continue de gagner du terrain. En Tunisie, les premières opérations officielles démarrent. Au Maroc, le programme s'accélère avec l'installation de 12 nouveaux sites en 2025. Les Émirats Arabes Unis, c'est 300 opérations d'ensemencement chaque année. Un leader dans le domaine ! Et il n'est pas seul. La Chine aussi change d'échelle. Objectif : rendre 10% de son territoire aride, fertile. Mais bon, ce n'est pas aussi simple. En réalité, même si la technique est utilisée depuis des décennies un peu partout dans le monde, elle continue de soulever pas mal de questions, à commencer par son efficacité.
- On a du mal à démontrer que c'est à cause de l'ensemencement, ça pourrait être un effet normal. Il faudrait des campagnes avec un grand nombre d'ensemencements. Et on ferait un protocole statistique, comme on le fait en médecine, avec un double-blanc sur un grand nombre d'échantillons, pour démontrer que ça marche ou non. Le problème, c'est que ces campagnes coûtent cher et demandent une logistique importante. La démonstration devient donc difficile et c'est là que ça se complique. Qu'est-ce qui relève de l'ensemencement ? Qu'est-ce qui relève du phénomène naturel ? Chaque nuage est influencé par des dizaines de paramètres : la température, l'humidité, les vents, les particules... Cela rend difficile d’isoler précisément l’impact d’une intervention humaine. Autre difficulté : les nuages ne réagissent pas tous de la même manière à l’ensemencement. Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les nuages dits orographiques sont ceux qui présentent les meilleurs résultats. On parle là des nuages qui se forment lorsque de l’air humide rencontre un relief.
- Ces études sont menées sur les reliefs des montagnes rocheuses au Wyoming. C'est là qu'il y a les études peut-être les plus poussées qui existent. Ce sont en fait les seules preuves qu’on a pour le moment que ça peut marcher, mais seulement dans ces cas, on va dire, "simplifiés".
Donc la question n’est pas tant "Est-ce que ça marche ?" mais plutôt "quelle quantité de pluie produit-on réellement ? Les expériences dans le Wyoming ont montré une hausse de 5% des précipitations, D’autres études statistiques plus globales évoquent une hausse de 15 % à 20% En France, l’ANELFA tente également de mesurer l’influence de l’ensemencement des nuages sur les chutes de grêlons avec un outil : le grêlimètre.
- Donc c'est donc une plaque de polystyrène disposée sur un piquet au sol qui va recevoir les impacts de grêlons. On l’a teint en noir, on fait ressortir les grêlons. On va pouvoir donc les compter, les mesurer. Et on attire là des paramètres physiques qui caractérisent les chutes de grêle. Et c’est dans ce cadre là qu’on a pû mettre en évidence une diminution de l’intensité de l’ordre de 50% quand, dans la zone de développement de l’orage, il y a un générateur tous les 10 km en fonctionnement 3h avant l’heure de la chute de grêle. Mais est ce que c’est polluant tout ça ? Et oui, il reste une question essentielle : que met-on réellement dans les nuages ? Le plus souvent : de l’iodure d’argent. Un composé pas tout à fait anodin : il n’est pas biodégradable, classé comme “potentiellement toxique”, surtout pour les espèces aquatiques. Sur ce point, les experts sont partagés. D’un côté, ceux qui alertent sur les dangers pour l’environnement. De l’autre, ceux qui estiment que les quantités utilisées sont trop faibles pour être nocives.
- Les quantités qui sont diffusées sont petites. Un générateur, en moyenne, il fonctionne uniquement 15 jours par an. Et un jour où un générateur fonctionne, c’est à peu près 90 grammes d’iodure d’argent qui sont diffusés dans l'atmosphère. - On peut, pour le moment, être rassurant parce que les concentrations d’iodure d’argent qu’on met dans les précipitations restent bien inférieures au seuil de toxicité que l’Organisation mondiale de la Santé a publié. Alors ok, les quantités sont faibles. Mais avec tous ces doutes sur son efficacité, pourquoi l’ensemencement séduit-il autant ? En pleine crise climatique, la technique a tout d’une solution miracle : rapide, accessible, peu contraignante... À tel point que certains pays qui avaient arrêté d’ensemencer, s’y remettent. Aujourd’hui, l'ensemencement des nuages est brandi comme un outil à court terme contre la sécheresse et le stress hydrique.
- Ça quitte la science et c’est en train parfois de dériver vers la science-fiction. C’est ce que j’essaie d’expliquer à ces pays-là, en particulier l’Arabie Saoudite et les Emirats : on ne peut pas faire pleuvoir dans le désert ! Si c’est sec, c’est sec ! On ne peut pas créer des nuages à partir du vide.
En clair : L’ensemencement des nuages, ça peut marcher, mais ça ne servira jamais de baguette magique contre les effets du réchauffement climatique. Pourtant, parfois, la technique est poussée à des échelles "XXXL". En Australie, on tente d’ensemencer les stratocumulus au-dessus de la Grande Barrière, pour les rendre plus blancs, augmenter l’effet parasol” et refroidir localement la température de surface de l'océan. Objectif : Protéger les coraux du réchauffement. On ne parle plus de faire pleuvoir ici ou là mais d’un climat à la carte ! Des projets ambitieux, qui restent extrêmes.
- On quitte le domaine de la modification du temps, proprement dit, et on va dans ce qu’on appelle maintenant du “geoengineering”, donc la modification du climat.
Dans la plupart des cas, la recherche avance prudemment. Depuis les années 40, la technique n’a pas beaucoup évolué. Même si, progressivement, les outils s’affinent : radars plus sensibles, modèles climatiques plus précis, prévisions météorologiques en temps réel… De nouvelles pistes apparaissent aussi. Les Etats-Unis et la Chine envisagent d’utiliser des particules d’eau chargées électriquement Les Emirats misent, eux, sur la nanotechnologie. Bon pour l’instant, ça ne change pas vraiment la donne mais une question flotte dans l’air : doit-on et jusqu'où peut-on contrôler les mécanismes naturels du climat ?