Il existe des éclairs que vous n'avez sans doute jamais vus. Des lumières rouges mystérieuses, qui apparaissent dans le ciel au-dessus des orages. On les appelle les "sprites" ou "farfadets" en français. Photographiés par milliers grâce aux caméras numériques modernes, ils sont en réalité très brefs et peu lumineux, les rendant quasi impossibles à voir à l'œil nu. Alors que sont-ils exactement et comment arrive-t-on à les photographier ? - Je m'appelle Christophe Suarez. Je suis photographe et chasseur d'orages depuis... plus de vingt ans maintenant. Alors, voilà. Tac... Ça, c'est bon. Et depuis quelques années, je me suis spécialisé dans des phénomènes qu'on appelle les "sprites". La difficulté, c'est que c'est un phénomène qu'on voit pas vraiment à l'œil nu. Donc naturellement, on est plus disposé à penser que c'est quelque chose de pas naturel, alors que ça l'est complètement. Voilà. Hop. Nous sommes près de Fréjus, dans le sud de la France. À l'horizon, une cellule orageuse s'active au-dessus de l'Italie. - Ça, c'est une distance intéressante parce que c'est 200 km. C'est la distance idéale parce que c'est ce qui va te permettre de photographier les cumulonimbus qui clignotent et puis les fameux farfadets qui sont au-dessus des orages. Une fois son matériel installé, Christophe se sert du mode vidéo de ses appareils photos pour filmer en continu et il surveille l'intensité des orages avec son téléphone. - Donc entre là et Turin, il y a environ 200 km. Alors une fois que j'ai vu ça, je me dis finalement : on va voir un petit peu ce qui se passe au niveau des éclairs. Pourquoi ? Parce que les éclairs, ça doit être des éclairs très puissants, et de préférence positifs, pour faire des sprites. Je veux que ce soit des éclairs d'intensité supérieure à 100 kA. Là, on est à 47. Ça peut faire un petit sprite, mais... c'est clairement pas les valeurs idéales pour que ça fasse de jolis farfadets. C'est pas la valeur idéale. En effet, les éclairs qui envoient des charges positives vers le sol produisent un déséquilibre ou une "différence de potentiel" qui fait apparaître les sprites à plusieurs kilomètres d'altitude. - S’il y a des sprites, ils apparaissent entre 50 et 90 kilomètres. Ça veut dire que ce serait à la moitié de l'écran à peu près, voilà. Donc si je vois quelque chose qui apparaît sur l'écran, à ce moment-là, je vais changer d'objectif et je vais zoomer dessus. À cette altitude, les sprites sont même visibles depuis la Station spatiale internationale. Comme le montrent ces photos prises par des astronautes. Étudier les sprites depuis l'espace fut le projet de ce laboratoire du CNRS, basé au sud d'Orléans, avec le satellite TARANIS, du nom de la divinité gauloise du tonnerre. - Alors ici, nous sommes au laboratoire de physique et de chimie de l'environnement et de l'espace, qui avait la responsabilité scientifique de la charge utile de TARANIS. Une mission qui avait pour but d'observer tout un tas de phénomènes associés aux orages qu'on ne voit pas facilement depuis la Terre, mais beaucoup mieux au-dessus des orages eux-mêmes. On les appelle "évènements lumineux transitoires", puisqu'effectivement, ce sont des évènements visibles mais qui sont très brefs. Ces évènements lumineux transitoires, appelés TLE en anglais, ne durent que quelques millisecondes. Et en plus des sprites, il existe également des anneaux rouges lumineux appelés "elfes", qui apparaissent à très haute altitude, ainsi que des jets géants qui émergent au sommet des nuages. Les chercheurs s'intéressent aussi aux flashs de rayons gamma terrestres, où l'orage se comporte comme un accélérateur de particules et émet des électrons à des vitesses proches de celle de la lumière. Ces phénomènes impactent l'équilibre électrique global de l'atmosphère. Les étudier est utile pour établir des communications radio à longue distance et pour la sécurité des vols en haute altitude. Le satellite TARANIS comportait donc une myriade de capteurs pour effectuer les mesures. Il devait décoller en 2020, mais la mission ne s'est pas déroulée comme prévu. - Malheureusement, ce satellite... Il était sous sa coiffe lors du lancement, comme prévu... - Trois, deux, un, top ! Allumage P80 et décollage Vega 17, SEOSAT-Ingenio et TARANIS. - Le lancement a échoué. C'était un lancement sur lanceur Vega et il y a eu un problème sur le dernier étage de la fusée Vega. La mise en orbite a pas fonctionné et le lanceur a suivi une trajectoire balistique. Le satellite s'est retrouvé en fait au pôle Nord, dans l'océan Arctique. Pour une erreur de câblage sur la commande des moteurs du dernier étage, celui-ci a fait perdre de l'altitude au satellite au lieu de le rehausser, jusqu'à l'impact. Après une vingtaine de minutes sans communication avec le satellite, il a fallu se rendre à l'évidence. - Bah, on était très déçus. On était très déçus. Tout de suite, avec les équipes du CNES, on a essayé de remonter un projet avec les instruments de rechange qu'on avait construits au cas où il y avait de la casse pendant les tests. C'était pas quelque chose de simple, mais on a réussi à mettre en place une petite mission TARANIS 2. Mais malheureusement, ça n'a pas été accepté au final au niveau du CNES. Les contraintes budgétaires n'ont pas permis à TARANIS 2 de voir le jour pour le moment. En attendant, les chercheurs utilisent d'autres moyens pour étudier les sprites, comme les outils de simulation ou des caméras ultra-rapides. - Donc ça, c'est une vidéo fantastique. Vous allez voir un sprite à très haute vitesse. 100 000 images par seconde. Vous voyez, ça commence avec des filaments qui descendent. On voit juste la tête des filaments quand ils se propagent. Ensuite, les structures électriques qui ont été produites se chargent et on a d'autres filaments qui montent. C'est vraiment une structure très très dynamique et très complexe. C'est un vrai feu d'artifice, mais avec une échelle de temps très petite. Là, on est à 4 ms seulement après le début de l'évènement. Un feu d'artifice naturel qui se ramifie en descendant du ciel. Mais d'où vient leur couleur si caractéristique ? Pour mieux comprendre, Sébastien Célestin nous fait une petite démonstration. - Donc ça, c'est une Planeterrella. C'est une réplique d'un instrument historique qui s'appelle la Terrella, qui a été développé par un scientifique norvégien qui s'appelle Birkeland. Il a montré que les aurores polaires étaient des phénomènes électriques. Donc il y a des électrodes et on établit des différences de potentiel entre ces électrodes. C'est ce qu'on appelle des décharges luminescentes. C'est plus proche des sprites que des aurores polaires elles-mêmes. Sous la cloche, de l'azote à faible pression sert à simuler les hautes altitudes de notre atmosphère, qui en est composée à 79%. Traversé par un courant, il émet alors une lumière caractéristique. - Il faut comprendre que les molécules, en fait, elles absorbent de l'énergie des électrons qui les impactent et ensuite, elles la libèrent sous forme de lumière. Les molécules d'azote N2 ont des raies d'émission dans le rouge et dans le bleu. C'est pour ça que le dessus des sprites est plutôt rouge. Le dessous est plutôt bleu, à cause du fait qu'on observe pas le même type de désexcitation. Et pour mieux les voir, c'est même dans le proche infrarouge qu'il faut regarder. Sur le toit du laboratoire, une petite caméra très sensible à ces longueurs d'onde a été installée. - On a une caméra pour filmer les sprites, qui est celle qui pointe vers le ciel, là. Et sur l'ordinateur, on a un logiciel qui permet de détecter s'il y a une variation rapide par différence d'images. On voit les lumières de la ville, l'éclairage de la route, et malgré tout, on voit le sprite quand même derrière. C'est un phénomène qu'on croyait très rare dans les années 1990, mais qui en réalité est très fréquent. Dès qu'il y a un orage, on a des chances de voir un sprite. Alors il faut que l'orage soit quand même significatif. C'est pas les petits orages localisés qui vont faire des sprites. Quand on a des gros fronts orageux, on a toutes les chances d'observer des sprites. On peut même les observer avec un téléphone portable. Du côté de Fréjus, Christophe, lui aussi, a dû modifier son appareil pour mieux capter les infrarouges. - Si on veut du rouge, l'appareil photo, lui, il a tendance à diminuer le rouge. Donc ce qu'on fait, c'est qu'on enlève ce filtre d'origine, et on va rajouter un filtre qui laisse un peu plus passer les infrarouges. Et puis après, c'est la montée en ISO. J'hésite pas à monter à 40 000 ISO, par exemple. Donc vraiment, le matériel est utilisé au maximum de ses possibilités. Et à force de patienter, l'éclair tant attendu est enfin arrivé. - Attends, il y a pas quelque chose là ? Il y a eu un flash très fort. Je vais vérifier s'il y a pas quelque chose. Là, on a les premiers sprites de la soirée. Et puis, ils sont proches. Après, c'est vrai qu'ils sont pas très puissants. Mais je suis content de les avoir quand même. Il y a une ambiance très très sympa. Ces premiers farfadets ont été suivis de quelques autres. Mais cet orage n'a pas forcément produit les plus extraordinaires. - Moi, ce que j'attends, c'est ce qu'on appelle "la jolie méduse", avec dessous, des tendrils et tout ça. C'est vraiment magnifique. C'est sûr que nous, en tant qu'amateurs, on est pas à la pointe de la science. Mais par contre, ça peut produire des images, qui par leur beauté, finalement, vont permettre de vulgariser le phénomène et de le montrer au grand public sous son meilleur aspect. Avec leur travail, scientifiques et photographes, arrivent à lever peu à peu le voile sur un phénomène qui n'a pas encore révélé tous ses mystères.