1 Si le cinéma est aujourd'hui considéré comme un art à part entière, on le doit beaucoup à ceux qui en ont été les militants autant acharnés que passionnés. On le doit aussi au compagnon discret de ces séances obscures, celui qui permit de porter la bonne parole dans les lieux les plus improbables... Projecteur Debrie modèle MS24, 1954 Le projecteur Debrie à tout d'un projecteur de salle mais en version épurée. Le film se charge par l'avant. L'objectif doit être déverrouillé et la pellicule se plaque simplement contre les rails de défilement. Derrière l'objectif, la pale obturatrice. Elle éteint le faisceau lumineux 24 fois par seconde au moment où la pellicule avance entre les deux images. La lampe. Son utilité est double : projeter l'image du film mais aussi éclairer la cellule photoélectrique qui convertira la bande sonore du film en signaux électriques, signaux qui partent dans l'amplificateur puis le haut-parleur. A l'arrière, le moteur. Silencieux, il rend la cabine de projection inutile et permet au projectionniste d'être dans la salle et d'animer la séance. Il n'a plus alors qu'une manette à actionner, simplicité qui le laisse disponible pour son public. Quatre positions : arrêt total, défilement sans lumière, en demie-lumière, projection plein feu. Son succès, le projecteur Debrie le doit à son adaptation parfaite à son usage : compact, facile à transporter, simple d'utilisation et cependant extrêmement robuste. Un jour de 1897, un projectionniste commande à Joseph Debrie, contremaître d'une entreprise à découper la tôle, une machine à perforer les films. L'idée inspire le fabricant qui fonde alors une société avec son fils André. Rapidement, ils proposent toutes sortes de matériels cinématographiques. La première version de ce qui fut leur succès mondial, la caméra Parvo paraît en 1909. Ami des cinéastes, André Debrie fabrique à la demande de nouveaux appareils. Il conçoit en 1926 pour Abel Gance un système à trois caméras superposées. L'après-guerre voit la continuation de la production de machines techniques. La caméra Parvo continue d'être améliorée et vendue. En 1954 paraît le projecteur de cinéclub. Il se vend à plus de 40 000 exemplaires dans le monde entier. Avec l'émergence de la vidéo, la société Debrie commence son lent déclin. En 1992 elle fusionne et disparaît comme entité indépendante. Avec le Debrie, la séance de cinéma prend possession de lieux inédits. Mais est-ce vraiment nouveau ? Dans ses premières années à la fin du XIXe siècle le cinéma s'installe partout où il peut : dans les théâtres reconvertis, dans les salons, sous les tentes des forains. Il est un divertissement populaire un peu méprisé. En 1924 le cinéaste et théoricien Louis Delluc fonde le premier ciné-club. Son but : faire du cinéma un art à part entière. Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement des ciné-clubs se développe, il deviennent un lieu d'échange et de discussion ouvert à tous. Pas de début de séance sans une présentation du film, pas question de partir sans en avoir parlé et exposé son point de vue. L'important ce n'est peut-être plus tant de voir un film que d'en débattre. Est-ce que certains d'entre vous ont vu d'autres films de Godard ? Non, je n'ai pas vu d'autres films de Godard mais ce qui m'a particulièrement intéressé dans ce film, c'est la psychologie des personnages principaux, enfin l'histoire elle-même n'est pas importante. Vous savez que dans ce film Godard a voulu laisser une part d'improvisation à ses acteurs. Avez-vous ressenti cette part d'improvisation ? Trois mouvements d'éducation populaire sont les principaux acteurs de ce cinéma hors les murs : les communistes, la Ligue de l'enseignement et la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Les animateurs sont souvent des professeurs de lettres. Les ciné-clubs deviennent des lieux de contre- culture résolue, où l'on critique le cinéma commercial. "Un débat c'est comme la mayonnaise ça peut rater même si tous les ingrédients y sont mais il n'y a pas lieu de s'en étonner." André Bazin, Comment présenter et discuter un film, 1953. "C'est la preuve qu'il ne s'agit pas d'une classe d'arithmétique, qu'il faut autre chose que de la compétence : la complicité du hasard, quelques effluves impondérables, une certaine grâce qui parfois se refuse, qui parfois aussi fond sur vous à la minute du désespoir. J'ai vu des débats fourvoyés pendant trois quarts d'heure, sauvés par le dernier et tout le monde partir content. C'est qu'il n'est pas que le film qui soit une œuvre d'art. La réflexion critique en est une aussi, elle exige de l'amour, de la sincérité, de l'inspiration. Il y a une muse des ciné-clubs."