Que faire du pain invendu ? Le donner, le jeter ? Et pourquoi pas lui redonner vie ? C'est ce que fait cet artisan boulanger de la banlieue rennaise en utilisant une partie de son pain sec pour en faire du pain frais. Une solution de recyclage en vogue depuis 2015 qui lui évite de gaspiller des dizaines de kilos de pain par mois. Une nouvelle pratique que les chercheurs du projet Microcosmos ont eu envie de questionner.
- On cherche globalement à l'échelle du projet à définir si le recyclage alimentaire est une vraie opportunité. Parce que les politiques publiques se sont emparées du sujet et en France, on est plutôt proactif et en avance. Assez rapidement en 2016, la Loi Garot propose une hiérarchie des usages avec l'alimentation humaine tout en haut. Et ce, avant l'animentation animale ou la méthanisation et le compostage. Nous avons souhaité nous focaliser sur le pain, produit à petite échelle dans nos boulangeries artisanales.
Les chercheurs ont décidé de mener l'enquête sur le terrain auprès des consommateurs et des boulangers, mais aussi d'expérimenter en fabriquant leur propre pain recyclé. La recette de base est assez simple : réduire les invendus en poudre, puis remplacer dans le pétrin entre 10 et 20% de la farine de blé par cette chapelure de pain. Il s'agit pour les chercheurs d'étudier un maximum de paramètres pour savoir si le pain recyclé conserve des qualités organoleptiques comparables à celles du pain classique au fil du temps.
- Le pain, quand il sort du four, on le caractérise au niveau de sa texture. Donc on fait des tests de compression mécanique : on applique une force au pain pour voir comment il se comporte. On va regarder l'alvéolation du pain. La mie s'est-elle bien expansée ? Les alvéoles sont-elles bien grosses ? A-t-on une mie aérienne, comme on aime ? On peut aussi suivre le pain au cours du vieillissement et donc on suit son rassissement. Et là, c'est plutôt l'étude de l'état de l'amidon qu'on va vérifier. On va voir comment l'amidon va rétrograder. La rétrogradation de l'amidon est impliquée dans le rassissement. Le pain est plus dur et sa texture moins agréable. Un autre point d'attention concerne la qualité sanitaire du pain.
- Les anciens boulangers faisaient ce qu'on appelait "la soupe". Le soir, ils remettaient tous les invendus dans le pétrin, et versaient l'eau de coulage dessus. Du coup, cela trempait et le lendemain, ils faisaient le pétrissage. Bactériologiquement parlant, c'est moins recevable. Notre pratique consiste à bien dessécher la chapelure au four pour éliminer toute l'humidité qu'elle contient et éviter la prolifération des microbes. La qualité microbienne est suivie de près, tout comme les acrylamides. Ces substances chimiques, naissant dans la croûte lors de la cuisson sont potentiellement cancérogènes pour l'Homme. Des dosages permettent de vérifier que leur concentration reste sous les seuils fixés par la loi au fil du temps et des recyclages. Car une question reste en ligne de mire : est-il possible de recycler du pain recyclé ?
- On fait ce projet pour pouvoir étudier la possibilité de recycler tout ce qui rentre en boulangerie et pour qu'aucune perte ne soit générée. C'est pour ça qu'on a décidé d'introduire 10% de poudre de pain parce que cela correspond à peu près aux pertes des boulangers et ça permet d'obtenir un pain aux caractéristiques acceptables. L'idée c'est de voir si on peut recycler à l'infini et de limiter, voire faire disparaître tout le gaspillage en boulangerie. Réussir à recycler tous les invendus localement est une solution qui fait rêver les adeptes des circuits courts. Et les initiatives se multiplient sur le territoire depuis 2015. Plus de 650 boulangeries sur 35 000 se sont équipées d'un broyeur pour recycler leur pain, tandis que d'autres confient leurs invendus à des associations ou des entreprises solidaires qui en font de la farine, des biscuits ou même de la bière. Mais la transformation du pain en aliment est-elle toujours la solution la plus écologique ? Celle qui émet le moins de polluants et consomme le moins de ressources ? - Il existe d'autres voies de valorisation intéressantes, comme le don alimentaire ou la méthanisation. C'est à cette délicate question du cycle de vie qu'une autre partie de l'équipe s'intéresse.
- Certaines études montrent que le don va avoir plus d'impacts environnementaux que le procédé de récupération énergétique via l'incinération. - Ce n'est pas simple de comparer ces filières parce qu'elles rendent des services différents. On veut essayer de les évaluer le plus équitablement possible, en tenant compte de tous les services qu'elles peuvent rendre à un territoire.
- L'association "Pain contre la faim" vient chercher tous les quinze jours les sacs d'invendus...
- Les filières sont très dépendantes des territoires. Par exemple, sur le territoire de Rennes Métropole qu'on a étudié, on a beaucoup de surface agricole utile, donc beaucoup d'exploitants avec de la grande culture, mais aussi beaucoup d'élevage. Et il y a un fort besoin en alimentation animale. Ce qui fait qu'il y a une structuration de la filière avec un acteur associatif qui collecte pour l'alimentation animale dans la périphérie de la ville de Rennes.
- Je pense qu'on devrait plus considérer ces pratiques pour essayer d'arrêter de jeter de la nourriture. En 2025, on ne peut plus faire ça. Ne pas jeter des matières premières, c'est ne pas mettre de l'argent à la poubelle.
- Vous voulez goûter ?
- Je veux bien, je ne connais pas.
- Alors, vous trouvez ça comment ?
- Mettez-en une. À terme, les chercheurs souhaitent évaluer la possibilité de transférer les savoirs acquis pour le pain à d'autres types de produits alimentaires. Car la loi AGEC, promulguée en 2020, et qui interdit progressivement les emballages plastiques à usage unique, vise également à réduire l'ensemble du gaspillage alimentaire de 50% d'ici 2030.