Dans la nature, les organismes sont constitués de biomatériaux très adaptés et très performants, et il existe de nombreux animaux capables de régénérer des membres et des organes. Comment s'en inspirer pour faire repousser les nerfs du corps humain ? - Il y a pas mal d'organismes qui sont très simples et qui vont réussir à se régénérer. Il y a des vers plats qu'on appelle des planaires. On va pouvoir les couper en deux et l'autre moitié va se régénérer. Il y a différents types d'organismes marins comme les étoiles de mer qui vont pouvoir se régénérer. Chez la salamandre, on a défini une série de gènes qui vont permettre une recroissance de l'ensemble du membre. Donc à la fois des nerfs, mais aussi des muscles, mais aussi des os, mais aussi des différentes choses. Donc nous, on n'est pas du tout à ce niveau-là chez l'Homme. On a le cas du foie qui est constamment en train de se régénérer pour essayer d'enlever les différentes cellules qui ont absorbé des éléments toxiques par exemple. En ce qui concerne les nerfs, la régénération peut être assez naturelle, assez simple lorsqu'on n'a pas rompu l'intégrité du nerf. On va pouvoir avoir un réalignement de cellules, on va pouvoir avoir une recroissance nerveuse. Par contre, lorsqu'on a une section franche du nerf, dans ce cas-là, ça va être beaucoup plus complexe. On a une rétractation des deux bouts de ce nerf qui vont s'éloigner l'un de l'autre. Et là, au contraire, on va avoir un groupe de cellules qui vont bloquer la régénération et qui vont empêcher ce nerf de pousser à l'aveugle, finalement au niveau du tissu où il est. La recherche pour faire repousser un nerf, menée depuis 20 ans en collaboration avec la Tutfs university de Boston, l’UTC de Compiègne et l’institut Faire Faces d’Amiens se poursuit aujourd'hui à l'université de Rouen Normandie. Elle s'inspire des propriétés de matériaux naturels. - Progressivement, on a isolé deux axes majeurs pour aider à la recroissance nerveuse. Le premier, c'était guider et donc donner finalement un rail de guidage pour aller retrouver l'autre côté du nerf qui a été sectionné. Et la deuxième partie, c'était stimuler cette croissance. Alors, très tôt, on s'est intéressé forcément à des matériaux qu'on appelle des polymères naturels, puisque la nature nous donne beaucoup d'exemples de polymères qui fonctionnent bien. Et donc il fallait qu'on ait un polymère qui soit à la fois solide et bien reconnu par le corps. La soie nous donnait quelque chose qui avait déjà été utilisé puisqu'il existe des sutures en soie. Donc, assez rapidement, on a choisi ce type de soie. La soie, qui vient du cocon de Bombyx mori pour essayer de développer ces matériaux à partir d’une protéine qui s'appelle la fibroïne qui est dans cette soie. La technique qu'on a utilisée s'appelle l'électro-filage. C'est une technique qui permet de reformer une fibre de soie en mettant simplement une solution de soie dans un champ électrique. Et ces protéines vont se réaligner et refaire une fibre qui a la même structure que les fibres de soie. Ça nous donne deux avantages : le premier, c'est qu'on va pouvoir les aligner et avoir des fibres qui vont toutes dans la même direction. Et la deuxième chose, c'est lorsqu'on rajoute une autre protéine dans cette solution, ces protéines comme un facteur de croissance par exemple, elle va être capturée et elle va rester à l'intérieur de notre fibre. Le biomatériau ne va pas être là pour remplacer complètement quelque chose, on n'a pas fait un nerf artificiel. Ce qu'on a fait, c'est une prothèse qui va donner une direction pour que le nerf se répare correctement. Et donc toute l'idée derrière des biomatériaux pour la régénération nerveuse, c'est de redonner finalement un fil, de redonner un axe, de redonner un chemin à l'axone qui est en train de pousser. Il y a deux types de biomimétisme, le premier c'est celui qui comprend comment la nature se répare. Et le second, c'est celui qui va lui donner les différentes structures pour qu'elle se répare. Et dans notre cas, lui proposer une prothèse nerveuse qui reproduise la forme du nerf. C'est encore plus compliqué lorsqu'on rentre dans des chirurgies très complexes, comme par exemple le nerf de la face où on a une entrée de nerfs au niveau de la mâchoire et ensuite de nombreuses bifurcations pour aller innerver toutes les parties du visage. Donc on n'est plus juste sur une petite portion d'un demi-centimètre ou d'un centimètre de nerf, mais sur un ensemble de tissus qu'il va falloir remettre en contact. Et donc le travail qu'on essaye de faire aujourd'hui, c'est d'utiliser la fabrication additive ou l'impression 3D pour reprendre la structure d'un nerf, mais reprendre aussi sa complexité topologique et permettre aux chirurgiens d'avoir des systèmes de plus en plus complexes pour leur reconstruction. Ce matériau inspiré du vivant, à la fois biodégradable et compatible avec le corps humain, est un espoir pour permettre demain de reconstituer les nerfs du visage et pour des patients, de retrouver une activité normale.
Réalisation :
Thomas Marie
Production :
Universcience, La Belle Société Production, CNRS Images, MNHN, Ademe, Cerema, Région Normandie, Région Nouvelle-Aquitaine, Institut des Futurs souhaitables, Ceebios, avec la participation du Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires
Année de production :
2023
Durée :
5min43
Accessibilité :
sous-titres français