Voici, pour la première fois, le cerveau de l’Homme de Cro-Magnon vivant il y a près de 30 000 ans.
Antoine : C’est un reflet assez précis des indications principales du cerveau de cet Homme de Cro-Magnon qui vivait il y a 28 000 ans.
Ce cerveau représente une prouesse en paléoanthropologie, car si nos ancêtres et les différentes espèces humaines qui ont peuplé la Terre nous ont laissé de nombreuses traces, à l’intérieur de la tête de ces hommes préhistoriques, le cerveau a depuis longtemps disparu.
Mathieu : On retrouve encore des crânes de l’Homme de Néandertal, par contre, on ne peut pas avoir le cerveau de Néandertal. Ça ne se fossilise pas, on n’en a pas.
Alors, comment recréer le cerveau de ces hommes préhistoriques, quand l’action du temps les a depuis longtemps effacés ?
TITRE : Recréer le cerveau des hommes préhistoriques
Au musée de l’Homme, Antoine Balzeau et son équipe travaillent sur les restes humains. Parmi tous ces ossements, le crâne est l’outil de recherche favori de ce paléoanthropologue.
Antoine : Je regarde ce qui est caché à l’intérieur, ce sont toutes les empreintes laissées par le cerveau, qui moulent l’intérieur du crâne, et c’est ce que l’on appelle l’endocrâne. Et en étudiant toutes ces empreintes, on va essayer de comprendre la morphologie et peut-être comment fonctionnait le cerveau de ces hommes préhistoriques.
Ici, vous avez le crâne de l’Homme de Cro-Magnon 1. Il a été numérisé par une tomographie, ce qui nous a permis de reconstituer en 3D sa surface externe, et grâce à ça aussi, on a pu modéliser toute la surface interne. C’est l’endocrâne. Cet endocrâne, on peut ensuite l’imprimer, et cet objet reflète en fait toutes les marques laissées par le cerveau sur la surface interne du crâne.
L’hypothèse depuis longtemps favorisée par les paléoanthropologues est que l’endocrâne garderait l’empreinte du cerveau qu’il a accueilli. Mais ce travail de reconstitution se basait sur des projections approximatives. Elles ne permettaient pas d’obtenir un modèle précis des différentes structures et replis du cerveau.
Antoine : On voit plein d’indices, des veines qui circulent, qui sont plus ou moins fines. Des grands sillons et des grosses veines qui font la circulation du sang autour du cerveau, et puis tout un ensemble de reliefs. La difficulté qu’on a, c’est de s’assurer que ces marques-là correspondent bien aux empreintes du cerveau, aux différents sillons du cerveau. Il y avait des marques qu’on identifiait parfaitement, mais parfois, on se trompait sur le nom, on n’associait pas le bon sillon à la bonne marque. Et puis, on avait tendance à extrapoler les marques que l’on voyait, à faire des tracés trop longs, trop droits par rapport à la réalité. C’est ce qu’on a voulu aussi améliorer grâce à notre projet.
Tout commence à l’Institut du cerveau, avec Mathieu Santin. Derrière son IRM, il est chargé de collecter les données de l’étude d’Antoine. Si les cerveaux de Cro-Magnon et de l’Homme de Néandertal ont depuis longtemps disparu, il existe un spécimen sur Terre pour lequel nous avons l’endocrâne complet et le cerveau en parfait état. C’est nous, les humains modernes.
Mathieu : Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est qu’en fonction des différentes espèces, le cerveau ne laisse pas nécessairement la même empreinte dans l’endocrâne. Chez les carnivores, typiquement les chiens, les loups, le cerveau va laisser une empreinte dans l’endocrâne qui va être très précise. On peut facilement retrouver la forme du cerveau en ayant uniquement la forme de l’endocrâne chez les carnivores. Donc l’idée aujourd’hui, c’est de se dire : est-ce qu’on est capable de faire ça chez Homo sapiens ?
Alors, pendant plusieurs mois, 75 volontaires se sont relayés sous l’IRM de Mathieu Santin.
Mathieu : La première IRM qu’on va réaliser, c’est une IRM dite anatomique. Donc celle-ci nous offre la possibilité d’avoir une volumétrie du cerveau qui est extrêmement fidèle à la réalité. L’idée étant d’aller cartographier les différents sillons, leur taille, ainsi que leur position. Et de faire ça sur le cerveau entier.
Le premier IRM passé par les volontaires permet d’obtenir une image nette de la surface du cerveau. Mais il ne permet pas de voir l’endocrâne. Pour ça, les volontaires passent une seconde IRM.
Mathieu : Alors ici, on est en présence des images obtenues par la séquence dite UTE. C’est la séquence qui va être plus sensible au tissu osseux. On voit très bien l’os sur ces séquences-là. On va être capable d’aller détecter la position et la forme de l’endocrâne sur ces sujets.
En amont de ces deux IRM, les 75 volontaires de l’étude ont été soumis à plusieurs tests recréés ici par Antoine Balzeau : mesure de force, mesure de la latéralité et de la dextérité… Ensuite, leur cerveau a été cartographié de l’intérieur.
Mathieu : On va être capable de voir finalement quelles sont les connexions latéralisées droite-gauche entre les différentes régions du cerveau. Ce genre d’étude nous permet d’avoir déjà une très bonne signature de ce qu’est la latéralisation chez Homo sapiens pour être capable ensuite peut-être d’aller la déduire par différents modèles chez des espèces disparues, typiquement l’Homme de Néandertal.
Ce protocole a donc permis de recueillir 75 images d’endocrânes avec leur cerveau associé. Victor Giollant a ensuite eu la lourde tâche de traiter toutes les données recueillies afin de les mettre en images pour les étudier.
Victor : Les images obtenues à l’Institut du cerveau ont permis d’obtenir des modèles 3D de cerveau et d’endocrâne sur lesquels on a dessiné absolument tous les petits trous, tous les petits reliefs, tous les petits sillons que nous avons identifiés et superposés par rapport aux sillons que l’on a observés sur le cerveau. À partir de chacune des marques, on a pu superposer absolument toutes nos observations et créer une carte, un atlas, qui permet, à partir de tous les sillons que l’on a observés, de pouvoir identifier sur les endocrânes fossiles à quels types de sillons on a affaire.
L’étude d’Antoine Balzeau et de son équipe a donc permis pour la première fois de relier sans approximation les formations présentes sur l’endocrâne à la morphologie du cerveau.
Antoine : Grâce aux données obtenues sur nos 75 volontaires, ça nous a permis d’être beaucoup plus précis sur le lien qu’il y a entre le cerveau et l’endocrâne. Et cette base de données a ensuite été appliquée aux spécimens fossiles. On a déformé un cerveau d’Homo sapiens pour que ses proportions correspondent exactement à ce que l’on a observé sur l’endocrâne de Cro-Magnon 1. Et pour la première fois, on a pu remodéliser son cerveau. Voici le résultat imprimé à petite échelle : ici, c’est l’endocrâne et ici, c’est le cerveau, qui représente exactement les proportions des principales parties du cerveau telles qu’observées sur cet endocrâne-là.
Quand ce cerveau nouvellement imprimé a été comparé aux anciennes projections du cerveau de Cro-Magnon, 80 % d’entre elles étaient fausses. Car les techniques utilisées autrefois pour modéliser le cerveau étaient trop approximatives. Les données recueillies par l’étude d’Antoine Balzeau et de son équipe permettent donc une précision encore inégalée.
Antoine : Mais on ne va pas s’arrêter là. Après cette première étape, qui était complètement nouvelle, on va essayer d’utiliser ces connaissances sur l’anatomie des différentes parties du cerveau pour essayer de mieux comprendre les comportements des humains préhistoriques. Et pour la première fois, essayer de faire un vrai lien entre les caractéristiques anatomiques du cerveau de ces humains et leur comportement, leur langage et l’utilisation de leurs mains.
La modélisation du cerveau d’Homo sapiens et de Néandertal permettra peut-être de mieux comprendre les comportements des humains préhistoriques. Et donc de lever un peu plus le voile sur ces espèces humaines, que nous avons parfois beaucoup de mal à comprendre.