Emmanuelle est en train de suivre son ordonnance à la lettre. Après un cancer, son médecin lui a prescrit des séances de sport régulières pour se remettre en forme et réduire les risques de récidive. Elle vient donc ici toutes les semaines pour faire une heure de natation. Comme elle, près de mille Strasbourgeois qui ont des problèmes de santé chroniques pratiquent chaque semaine le sport adapté sur les conseils de leur médecin. C'est un peu dur mais... Ah ! C'est hypra lourd ! L'activité physique est beaucoup plus efficace qu'une majorité de médicaments. Elle a un niveau de preuve très fort. Il y a une expertise INSERM collective de 2018 sur les effets de l'activité physique. La conclusion était très simple : il n'y a plus aucun doute sur les effets bénéfiques de l'activité physique. Elle prévient les maladies d'Alzheimer, les diabètes, l'obésité, les cancers. Et puis, elle soigne aussi. Une fois qu'on est malade, l'activité physique permet d'améliorer l'état de santé. C'est à Strasbourg, en 2012, que le terme "sport sur ordonnance" voit le jour. Toutes les études sont unanimes sur les bienfaits de l'activité physique pour les personnes souffrant de maladies chroniques, mais aussi pour celles souffrant de dépression, de Covid long, pour les personnes âgées fragilisées, les femmes enceintes ou encore les jeunes mères. Alors pourquoi ne pas prescrire des séances de sport adapté comme on prescrit des médicaments ? - Asseyez-vous. Vous avez un diabète de type 2 qui est connu depuis une dizaine d'années. - Tout à fait. - Vous aimeriez bien arriver à quoi ? - Alors dans un premier temps, récupérer du souffle, déjà. Perdre du poids, bien sûr... D'après ce que j'ai compris, la perte de poids va peut-être jouer sur le diabète, la tension. - L'idéal, l'objectif si vous voulez, c'est : 150 à 300 minutes d'activité physique par semaine. - D'accord. - En gros, ça fait 30 minutes à 1 heure 5 fois par semaine. On va pas commencer comme ça, rassurez-vous. Une fois l'ordonnance en main, les patients, qui sont en grande majorité des patientes, se rendent dans un centre hospitalier, une association ou une Maison Sport-Santé pour évaluer leur condition physique. Test de souplesse, d'endurance, d'équilibre, de force : tout est mesuré pour trouver l'activité qui conviendra le mieux à chacun. - Quatre. OK, bien. - C'est difficile parce que j'ai mes lombaires... - Oui. - Quand je me lève... - Oui, OK. - Nous, ce qu'on doit faire de particulier pour obtenir leur adhésion, c'est essayer de les entendre, les écouter. Si vous souhaitez arrêter, vous me dites. Il reste 1 minute 30. C'est pas comme prendre une pilule le matin. C'est faire 1 ou 2 heures de sport, toutes les semaines. Voilà. Donc pour les gens qui n'en ont jamais fait et qui ont des problèmes de santé, c'est quand même pas rien. Je donne des petites fiches de séance, pendant la musculation, qu'on remplit ensemble, en notant ce qu'on a fait, est-ce que c'était facile, moyen, difficile. Comme ça, on peut se dire : la prochaine fois, quand on refait l'exercice, est-ce qu'on peut essayer de faire peut-être un petit peu différemment, un petit peu plus ? Musculation, boxe, natation, qi gong, marche nordique : chacun choisit son sport et sera accompagné par un professionnel de l'activité physique adaptée qui va l'aider à renouer en douceur avec la pratique sportive et à dépasser ses appréhensions. - Au moins, on sent qu'on est accompagné. Il y a des moments, avec les maladies qu'on a, avec les problèmes de santé qu'on a, on est un peu fatigué, on se sent un peu délaissé. - La maladie, ça isole. Et un des effets de l'activité physique, en dehors de tous les effets sur la santé physique, mais aussi mentale... Ça diminue l'anxiété et la dépression, c'est bien démontré. Ça a aussi un rôle socialisant. En faisant de l'activité physique dans un groupe, déjà, vous sortez de chez vous. Puis on va rencontrer des gens qui ont des maladies. On va en parler de ces maladies. Avec des mots... entre patients. C'est pas les mêmes qu'on a avec le médecin. Puis on va parler d'autre chose, on va rigoler. Parce que généralement, c'est assez sympa. - Voilà. Là, on va regarder devant soi. L'activité physique a des effets bénéfiques sur la santé et le bien-être, indéniablement. Les séances prescrites sont prises en charge pendant deux mois, trois mois, parfois un an, comme à Strasbourg, selon le soutien des collectivités locales et des agences régionales de santé. Mais est-ce suffisant pour que les médecins aient le réflexe d'y avoir recours ? - Depuis 2012, plus de 500 médecins, en majorité des généralistes, ont prescrit l'activité physique à visée thérapeutique. Ça fait partie maintenant, à Strasbourg, de l'activité de soin des professionnels de santé du territoire. - Aujourd'hui, tout médecin, quelle que soit sa spécialité, peut prescrire, réaliser sur une ordonnance une prescription d'activité physique. Ensuite, est-ce qu'ils prescrivent ? Non. Largement insuffisamment. Nous on avait mené une étude sur... le nombre de médecins qui prescrivaient ce sport sur ordonnance et on était à moins de 10-15% des médecins. Le problème de cette activité physique adaptée, c'est qu'elle n'est pas remboursée par la sécurité sociale. - Ce n'est pas acceptable que l'activité physique thérapeutique, qui a de telles preuves scientifiques, ne soit pas disponible pour tous les Français sur tout le territoire. Et côté patients ? De nombreux freins révélés par des études sociologiques à Strasbourg peuvent les dissuader d'utiliser leur ordonnance, comme les problèmes de transport, le manque de temps, ou encore, l'image très compétitive renvoyée par le sport, sachant que les personnes adhèrent d'autant mieux au dispositif qu'elles ont déjà fait du sport à un moment ou à un autre de leur vie. Mais l'activité physique, c'est aussi un mode de vie. - Il faut bien garder en tête que les effets de l'activité physique ne se maintiennent que si vous maintenez l'activité physique. - Tout à fait. - Essayez d'avoir une activité physique un peu plus dans votre vie quotidienne. - Aller chercher le pain à pied. - Voilà, c'est ça. En France, en 2020, seulement 10% des 20 millions de Français souffrant d'une maladie chronique ou longue durée auraient bénéficié d'une prescription de sport adapté. Mais tous ne l'utilisent pas et tous ne conservent pas une activité suffisante une fois sortis du dispositif. Des études plus poussées croisant données médicales, sociologiques et géographiques sont d'ailleurs prévues à Strasbourg pour comprendre ce qui pousse certains bénéficiaires à franchir le pas, et à maintenir une motivation au long cours.