1 1947 : La France sort tout juste de la guerre, les besoins sont immenses. Dans les usines, la production redémarre. Il faut fournir toutes ces petites pièces sans lesquelles rien n'est possible : bielles, écrous, vis, tiges, axes de toutes formes et de tous métaux. Tour Manurhin, poupée fixe 16 mm. Un tour à came, c'est d'abord un tour fait pour usiner du métal. Un moteur électrique entraîne à haute vitesse un lourd cylindre d'acier : la poupée, qui elle-même fait tourner la pièce à usiner. Autour de celle-ci, une collection d'outils ayant tous un rôle bien précis à jouer. Taraudage, fraisage, perçage, filetage, tronçonnage, moletage, alésage : autant de termes techniques qui décrivent les actions, toutes différentes, de l'outil sur la matière. C'est ainsi qu'une tige de métal va se transformer en une pièce de moteur de voiture ou en un élément de robinet. Le boîtier de commande électrique contrôle la mise en route. Un casier contient différents engrenages : Ils permettent d'agir sur la vitesse de rotation de la poupée. Mais qui fait intervenir successivement tous les outils ? Personne ! Le tour suit un programme prédéfini. Mais pas d'ordinateur ici. La programmation est mécanique. L'arbre, un axe de métal tourne lentement. Il porte un ensemble de cames. Ces pièces, dont le profil est spécialement étudié pour agir sur un mécanisme et provoquer l'une après l'autre, l'action des outils. La programmation n'est pas née avec l'informatique. Les automates ont été inventés au XVIIIème siècle. Ils reproduisaient alors les mouvements humains grâce à un système d'arbres à cames. Les cames ont ensuite été adaptées aux tours puis généralisées à de nombreux systèmes mécaniques. Sur le tour, les outils interviennent les uns après les autres pour usiner la pièce mobile. A chaque tour de l'arbre à cames, une pièce est fabriquée. Dans les années 1930 la société Manurhin a acheté le brevet du procédé Georges Cuttat. Grâce à celui-ci le tour peut faire venir une nouvelle longueur de métal chaque fois qu'une pièce est terminée. Il n'y a vraiment plus rien à faire. La machine travaille toute seule. L'industrie du tournage naît dans les Alpes. D'abord utilisée pour façonner les engrenages des montres elle se généralise à la fin du XIXe siècle à la fabrication de pièces plus lourdes. Au XXe siècle, toute l'industrie a besoin de pièces métalliques, que ce soit l'automobile, l'électro-mécanique ou l'électroménager. Aujourd'hui encore, la Savoie, la Suisse et plus modestement le Jura sont d'importants lieux de production de pièces usinées. Plus d'ouvrier devant chaque machine : un homme seul surveille une dizaine de tours qui produisent chacun de 30 à 200 pièces par heure. Tout dépend de leur complexité. Le tour à cames transforme la vie de l'atelier. Le tourneur, un ouvrier spécialisé possédant un véritable savoir-faire disparaît devant le couple formé par le technicien et l'opérateur. Le technicien règle la machine, la programme mais ne la fait pas produire directement. L'opérateur lui, l'alimente et la surveille. En revanche, il ne sait pas la régler, c'est un ouvrier non qualifié. La révolution industrielle est passée par là. C'en est fini de l'artisan qui fabrique un objet de A à Z. Dans l'usine, il y a celui qui imagine l'objet à produire, un autre qui construit la machine, un autre encore, qui la règle et finalement l'ouvrier qui exécute des gestes répétitifs. "L'usine pourrait combler l'âme par le puissant sentiment de vie collective - on pourrait dire unanime - que donne la participation au travail d'une grande usine." Simone Weil, lettre à Albertine Thévenon "Tous les bruits ont un sens, tous sont rythmés, ils se fondent dans une espèce de grande respiration du travail en commun à laquelle il est ennivrant d'avoir part (...). Aux heures sombres des matinées et des soirées d'hiver quand ne brille que la lumière électrique tous les sens participent à un univers où rien ne rappelle la nature, où rien n'est gratuit où tout est heurts, heurt dur et en même temps conquérant de l'homme avec la matière. Les lampes, les courroies, les bruits, la dure et froide ferraille, tout concourt à la transmutation de l'homme en ouvrier.