Image légendée
Le drapeau des États-Unis sur la Lune, le 21 janvier 1969 © NASA/AFP/Archives –

Des millions de personnes en sont persuadées : l’Homme n’a jamais marché sur la Lune en 1969 et les images de la Nasa ont été tournées dans un studio à Hollywood. Une rumeur toujours bien vivante et un tournant majeur dans l’histoire des « fake news ». Il suffit de quelques clics pour trouver des milliers de sites internet qui remettent en cause la réalité de la mission Apollo 11. Plusieurs motifs sont avancés pour justifier cette mystification : la Nasa serait incapable d’un tel exploit technologique ; il s’agissait de missions sans équipage humain ; d’autres enfin, affirment qu’il fallait dissimuler la complicité d’extraterrestres ou la découverte d’une civilisation lunaire... De prétendues anomalies détectées sur les photos et vidéos de la Nasa sont ainsi évoquées.

La lumière et les ombres sont jugées suspectes ; l’absence d’étoiles dans le ciel sur certains clichés qui trahirait une machination ; tout comme le drapeau planté par Neil Armstrong qui paraît onduler alors qu’il n’y a quasiment pas d’atmosphère sur la Lune. À cela s’ajoute l’idée erronée qu’aucun humain n’aurait survécu aux radiations meurtrières durant le voyage. Si la communauté scientifique les a depuis longtemps réfutées (y compris via des images du site d’alunissage prises en 2009), elles ont néanmoins la vie dure. Au moment des premiers alunissages, moins de 5 % des Américains doutaient de la réalité de l’événement. Un taux passé à 6 % dans des études plus récentes, dont un sondage de référence, réalisé par Gallup en 1999. De même, 9 % des Français adhèrent à ces croyances selon un sondage Ifop de cette année, ou encore 25 % des Britanniques interrogés par TNS en 2009, et même 57 % des Russes sondés par Vtsiom en 2018.

Image légendée
Sites d’alunissage des sondes et engins habités sur la Lune © AFP Sabrina BLANCHARD

Réinterprétation visuelle

Comme l’explique à l’AFP Didier Desormeaux, qui a rédigé avec Jérôme Grondeux « Le complotisme, décrypter et agir » (Réseau Canopé, 2017), cet événement concentre l’intérêt des sceptiques à cause de son importance : « Cet épisode de la conquête spatiale est l’un des événements majeurs pour l’Humanité, le remettre en question ébranle les fondements mêmes de la science et de la conquête de l’Homme sur la nature ».

Si d’autres théories du complot s’étaient déjà appuyées sur des images, comme l’assassinat de JFK en 1963, Roswell ou les histoires d’OVNI, « ce qui est nouveau c’est que cette rumeur repose sur le décryptage minutieux de tous les signes cinématographiques repérés sur les images expédiées par la NASA », dit-il. Pour lui, « il s’agit de la première théorie du complot construite entièrement sur la réinterprétation visuelle d’un fait d’actualité : c’est une mise en scène qui est dénoncée et non un fait que personne ne remet en cause » tel que le décès de JFK.

Un schéma devenu classique : « la même logique s’applique quand les théories complotistes expliquent que les tueries dans les écoles américaines sont jouées par des comédiens ou que Charlie Hebdo était une mise en scène », précise Didier Desormeaux. Dans ces raisonnements viciés, dit-il, « l’image anesthésie la capacité de réflexion ».

Image légendée
L’astronaute américain Edwin Aldrin sur la Lune auprès du drapeau américain, en juillet 1969 © NASA/AFP/Archives DSK

Vietnam et Watergate

« Le fait que les dénégations (de la réalité d’Apollo 11, ndlr) perdurent ne devrait surprendre personne », estime Roger Launius, ex-historien officiel de la Nasa, dans un ouvrage récent, « Apollo’s Legacy » (non traduit en français). Pour cet homme qui a consacré une grande partie de sa carrière à les combattre, « les conspirationnistes ont creusé un vaste filon mêlant méfiance envers les institutions, critiques populistes de la société, et questionnements à propos de la création du savoir et de la critique des sciences ».

Leur succès tient au fait que ces rumeurs jouent sur « nos peurs les plus secrètes », souligne-t-il, et se sont nourries de la perte de confiance engendrée par la guerre du Vietnam puis le Watergate, et, à l’étranger, d’un fort sentiment anti-américain. En outre, « la force d’une telle théorie c’est qu’elle survit quoi qu’il arrive, car elle devient une croyance, qui s’accompagne d’un prosélytisme et donc d’une diffusion sans fin », ajoute Didier Desormeaux.

Mais un autre facteur a joué : « Les médias, en particulier, ont nourri les doutes au fil des ans », déplore Roger Launius, qui rappelle que la Nasa, après avoir longtemps refusé de commenter les théories complotistes, a dû se raviser après une émission de la Fox en 1978 qui les avait grandement popularisées. Ironie de l’histoire, note-t-il, ce sont des technologies (télévision et informatique) qui doivent beaucoup à Apollo 11 qui servent aujourd’hui à perpétuer ces croyances.