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Audrey Dussutour et ses « blobs » dans son laboratoire à Toulouse, le 31 mai 2019 © AFP/Archives ERIC CABANIS

Son intrigante créature d’étude, le « blob », craint la lumière. Éthologiste au CNRS à Toulouse, Audrey Dussutour cultive elle plutôt le vedettariat, au service d’une recherche fondamentale qu’elle juge malmenée. À l’origine de la notoriété de cette spécialiste du comportement animal, une étude qu’elle a cosignée sur le « blob », attestant que cet organisme unicellulaire à l’allure « d’omelette informe », ni plante ni champignon ni animal, est capable d’apprendre malgré son absence de neurone.

Avec plus de 11 000 suiveurs sur sa page Facebook, un livre consacré au « blob » déjà écoulé à 10 000 exemplaires et à paraître en poche, de multiples conférences et vidéos YouTube à son actif, cette quadragénaire aussi enjouée qu’hyperactive se réjouit du « buzz » autour de ses recherches. Même si, avant d’être rassurée par des retours positifs, elle avoue avoir eu « peur du regard de ses collègues », défiants envers la vulgarisation.

« Le piège est de se mettre à parler de tout et n’importe quoi, moi je ne parle que du blob et des fourmis », son premier objet d’étude. L’enjeu : « faire partager le travail de chercheur et y sensibiliser les gens, leur faire comprendre qu’il faut énormément de travail, alors qu’on nous demande toujours pourquoi on paie les chercheurs, à quoi ça sert ». « Nous devrions tous communiquer sur l’importance de la recherche, comment peut-on imaginer que le public devine » ce qu’il en retourne, insiste-t-elle.

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L’éthologiste Audrey Dussutour le 31 mai 2019 dans son laboratoire au CNRS à Toulouse © AFP/Archives ERIC CABANIS

Faire « kiffer »

A force, elle a peaufiné une réponse toute prête, servie avec l’accent de son Aveyron d’origine : « la recherche fondamentale est là pour faire progresser la connaissance », et irriguer la recherche appliquée. « Il ne faut pas s’enfermer dans ce qu’on appelle les +défis sociétaux+, c’est-à-dire ne faire que du cancer que pour soigner le cancer ». Et de citer en exemple l’observation des fourmis ou des termites, à l’origine de solutions innovantes pour le routage des véhicules ou l’optimisation des capacités thermiques d’un immeuble.

Dans l’immédiat, pas de tels débouchés pour le Physarum polycephalum, qui doit son surnom à son allure et sa gloutonnerie, évoquant la masse extraterrestre dévoreuse d’humains mise en scène en 1958 dans le nanar hollywoodien « The Blob ». Mais pour la chercheuse, qui s’emploie à en faire une sorte de fétiche pop pour amateurs de sciences, l’étude ce cet organisme, déjà objet de recherches pointues au Japon, peut éclairer « la mise en place des premières capacités cognitives dans l’évolution ».

« Le blob c’est bizarre, c’est aussi assez facile à élever, les gens peuvent monter des expériences assez facilement ». De quoi faire « kiffer », les chercheurs en devenir et encourager les vocations, selon Mme Dussutour. La sienne, dans son petit village d’origine et au sein d’une famille où personne avant elle n’avait intégré l’université, est née d’un amour de la nature et de son observation, transmis par son père.

 

 « Dégringolade »

Confection de centaines de flans plus ou moins sucrés – pour étudier les stratégies nutritives des blobs – commandes de flocons d’avoine en gros, car ces organismes en raffolent : à l’entendre, dans le fouillis de son labo toulousain du CNRS, son quotidien de chercheuse tient beaucoup du bricolage et de l’improvisation. Sans que cela l’amuse toujours. « Pour l’élevage du blog, je n’ai personne pour m’aider, avec nos étudiants nous sommes obligés de venir tous les week-ends ».

« La science est actuellement à la mode » mais « en recherche fondamentale pure, il est très difficile de trouver des financements » déplore-t-elle. Elle impute à la présidence Sarkozy « le début d’une dégringolade » non enrayée depuis. « Compétition atroce » entre chercheurs, « tricheries de plus en plus fréquentes » pour publier, études « tronçonnées » au gré de contrats courts, course aux fonds au détriment du travail scientifique : ses doléances, alors même qu’elle a atteint le « Graal » d’un emploi au CNRS, sont les mêmes que celles invoquées par nombre de doctorants.

Malgré son enthousiasme, elle-même s’avoue parfois lassée par ses horaires à rallonge, une vie personnelle bousculée. « Si nous devons aller vers un système à l’américaine, alors qu’on ait au moins des salaires américains ».