Le gouvernement a annoncé vendredi 05 avril 2024 une dérogation pour utiliser davantage un insecticide sur les betteraves à sucre, jugée « indispensable » par les cultivateurs mais « insuffisante » face au risque élevé cette année de développement d'une maladie pouvant décimer les productions.

Image légendée
Un champ de betteraves irrigué à Saint-Georges-sur-Eure (Eure-et-Loir), le 13 août 2022 © AFP/Archives Jean-François Monier

Les betteraviers pourront cette année effectuer jusqu'à cinq passages de Movento, au lieu de deux habituellement, a indiqué la ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture, Agnès Pannier-Runacher.

La douceur de l'hiver, associée à des pluies quasi-constantes depuis l'automne, a favorisé le développement de pucerons verts, vecteurs de la jaunisse de la betterave, une maladie qui rabougrit les plants et affecte les rendements. Le trop-plein d'eau dans les champs, notamment dans les Hauts-de-France, première région européenne de production de la betterave à sucre, a retardé les semis, qui démarrent à peine.

L'usage du Movento (spirotétramate) pourra se faire en plus de l'épandage d'un autre insecticide, le Teppeki (flonicamide). Pour l'heure, une première dérogation de 120 jours permettra d'effectuer un troisième traitement de Movento, et si la pression des pucerons est trop forte, d'autres dérogations seront prises pour permettre les deux autres passages de l'insecticide, selon le cabinet de la ministre.

Tueur d'abeilles

L'association Générations Futures a regretté « que le gouvernement cède systématiquement aux demandes du monde agricole en matière de pesticides au mépris du principe de précaution ».

« Ces dérogations, c'est le minimum du minimum. Indispensable mais insuffisant », a réagi Franck Sander, président de la Confédération des planteurs de betteraves (CGB), association spécialisée du syndicat majoritaire FNSEA. « Tous les capteurs sont au rouge, les réservoirs de pucerons sont au même niveau qu'en 2020, année où on a perdu un tiers de la récolte », a-t-il déclaré.

Alexis Hache, président des betteraviers de l'Oise, qui cultive 40 hectares à Vexin, ne décolère pas : « C'est absolument pas ce qu'on demandait. /  Quand on multiplie les passages d'une molécule donnée, on la condamne car la nature s'adapte », a-t-il déclaré, mettant en garde contre le développement d'une résistance des pucerons au Movento. « On demandait une diversité des familles et des modes d'action pour justement éviter ces résistances », a-t-il ajouté.

Depuis des mois, la CGB réclame une dérogation pour l'acétamipride, un insecticide interdit en France depuis 2016, membre de la famille des néonicotinoïdes qualifiés de « tueur d'abeilles » par les défenseurs de l'environnement. Estimant cette option irréaliste pour 2024, la ministre a indiqué que le gouvernement prépare « 2025 en regardant ce qui va sortir des analyses européennes ».

Actuellement autorisé jusqu'en 2035 par l'UE, l'acétamipride fait l'objet d'une réévaluation par l'Efsa, l'agence sanitaire européenne. Le ministère de l'Agriculture a souligné à de multiples reprises qu'il n'envisageait pas de « revenir en arrière » sur les néonicotinoïdes, et travaillait sur des traitements alternatifs dans le cadre d'un plan de recherche national.

Distorsion de concurrence

« Il faut sortir des pesticides, mais c'est aussi irresponsable de supprimer les pesticides dans le système économique dans lequel on est », a souligné François Théry, de la Confédération paysanne, lors d'un échange avec la ministre à Lorgies (Pas-de-Calais).

Après l'année terrible de 2020, les betteraviers avaient bénéficié de dérogations en France pour l'utilisation de semences enrobées de néonicotinoïdes. Ils ont vécu comme un « coup de massue » leur interdiction totale fin 2022 après une décision de la Cour de justice de l'UE.

L'année clémente en 2023, sans poussée massive de la jaunisse, a vu leurs rendements s'améliorer et leur a permis de profiter de la hausse des prix du sucre.

« Nous demandons à pouvoir utiliser deux produits autorisés au niveau européen, mais aujourd'hui interdits en France : l'acétamipride(...), et la flupyradiflurone, qui peut être utilisée en enrobage de semences », a déclaré Franck Sander. « En attendant, on fait face à des distorsions flagrantes de concurrence : nos voisins allemands continuent à utiliser l'acétamipride », a-t-il déploré.

La France, premier producteur européen de sucre, « exporte la moitié de sa production, soit 1,8 million de tonnes de sucres », selon la CGB.