Avec la menace des PFAS, la poêle en inox prend sa revanche
Publié le - par Le Blob avec l'AFP
Elle a failli succomber à l’offensive de la casserole en téflon à la fin du XXe siècle, mais la poêle en inox tient sa revanche avec la polémique qui entoure les « polluants éternels » (PFAS) présents dans les revêtements antiadhésifs.
A Fesches-le-Châtel, dans le Doubs, l’usine Cristel et ses casseroles haut de gamme vendues jusqu’au Japon a le vent en poupe : le numéro un français de l’équipement de cuisine en inox a vu « la demande exploser » depuis l’adoption en avril à l’Assemblée nationale d’une loi restreignant l’usage des PFAS en raison de risques sanitaires et environnementaux, confie son directeur général délégué Damien Dodane.
Le projet de loi doit être examiné à partir de jeudi au Sénat. Il prévoit d’interdire, dès le 1er janvier 2026, la fabrication, l’importation et la vente de tout produit cosmétique, de fart (pour les skis) ou d’habillement contenant des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), à l’exception des protections de sécurité.
À la suite d’une intense campagne du groupe Seb, propriétaire des célèbres poêles Téfal, les députés ont renoncé à interdire aussi les revêtements antiadhésifs dans les batteries de cuisine.
Mais le débat a suscité « une véritable inquiétude sur le marché du culinaire », note Damien Dodane, dont l’entreprise vend à la fois de l’inox et de l’antiadhésif. Si les deux matériaux étaient jusqu’à récemment à parts égales dans les ventes, l’inox représente depuis deux mois 70 % du chiffre d’affaires de Cristel.
Les casques des poilus
Sur un tapis roulant bleu, les ustensiles défilent, attendant qu’un ouvrier soude « les oreilles », les petites poignées latérales sur lesquelles viendra se fixer la poignée amovible, signature de Cristel.
L’entreprise est presque bicentenaire si on la considère comme l’héritière de la société Japy, qui produisit sa première casserole en 1826. Avant même la controverse sur les PFAS, elle a bénéficié du confinement lié au Covid-19, malgré le prix de ses produits haut de gamme, vendus entre 90 et 160 euros.
« Les gens se sont inquiétés, pendant le confinement, du matériel qu’ils avaient pour cuisiner », observe M. Dodane. L’entreprise a dû embaucher 24 salariés (ils sont 105 actuellement) et a vu son chiffre d’affaires quasiment doubler, à 20 millions d’euros, contre 12 millions en 2019.
Cristel exporte désormais le quart de sa production dans 40 pays (dont 7 % au seul Japon) et ouvre boutiques et filiales des États-Unis à l’Indonésie. Des données qui font rêver rétrospectivement sa présidente Bernadette Dodane, car le pari n’était pas gagné d’avance.
C’est en 1983 que l’aventure commence. Un groupe d’ouvriers reprend l’usine en faillite de Japy, qui fut l’une des plus grandes entreprises françaises du Second Empire avant de fournir l’armée en casques pendant la Grande Guerre.
Mais la société coopérative de production (Scop) ne décolle pas et une experte-comptable, Bernadette Dodane, est appelée à la rescousse pour apporter sa connaissance de la gestion et trouver un repreneur. Elle rend aux pouvoirs publics un rapport sur la viabilité de l’usine, qu’elle considère comme nulle. « Il n’y avait pas d’avenir », se remémore-t-elle. « Il y avait eu trois faillites judiciaires en huit ans. »
De la cuisinière à la salle à manger
Seule chance de s’en sortir : monter en gamme, « alors que toutes les casseroles se ressemblaient il y a 40 ans ». Elle fait appel… à son mari, Paul Dodane. Dessinateur, technicien concepteur chez Peugeot, il a l’idée qui change la donne : la poignée amovible, qui permet à la casserole de passer avec élégance de la cuisinière à la salle à manger.
Après le succès d’un prototype dans un grand salon, les salariés de la société en péril demandent au couple de reprendre la gérance. En 1987, les Dodane acceptent, hypothéquant leur maison à hauteur de 30 % pour sauver Cristel.
« On peut tout cuisiner dans de l’inox. Cela demande juste une éducation », assure aujourd’hui leur fils Damien Dodane. Chaque année, Cristel dispense ainsi 200 démonstrations culinaires chez ses revendeurs. « C’est notre manière de dire que la seule alternative aux polluants éternels, c’est l’inox. »
Quant à ses propres produits contenant des antiadhérents au polytétrafluoroéthylène (PTFE), Cristel a créé une activité de rechapage : environ un tiers des équipements est renvoyé à l’usine, où une ligne de production permet de refaire le revêtement. Coût pour le client ? 30 % du prix d’achat. Et un produit garanti à vie.