Le pergélisol – ce sol gelé en permanence – subit de plein fouet les effets du changement climatique. Ainsi, en Sibérie, des glissements de terrain importants mettent en péril les infrastructures et la population locales. L’origine de ces affaissements : l’hétérogénéité du pergélisol.

Image légendée
Affaissement de terrain dans un pergélisol riche en glace en Yakoutie Centrale, Sibérie. © Antoine Séjourné, GEOPS, CNRS/Université Paris-Saclay

Dans cette vaste région de la Russie, la température peut varier de -70° C l’hiver à 38° C l’été, alors que la température moyenne du sol avoisine -5°C. Dans son ensemble, le pergélisol résiste grâce à son inertie thermique, mais ces écarts de température considérables entraînent un dégel partiel en surface et même jusqu’à deux mètres de profondeur. Un dégel qui ne fait que s’accroître avec le réchauffement de l’air.

En dégelant partiellement, le pergélisol devient très hétérogène, avec ce que les scientifiques appellent des « coins de glace » et des « couches massives de glace » - des blocs de glace respectivement verticaux et horizontaux, nichés en son sein - dus aux phénomènes de contractions thermiques de gel et dégel.

Des chercheurs du laboratoire Géosciences Paris-Saclay (CNRS/Université Paris-Saclay), en collaboration avec l’Institut Melnikov Permafrost de Yakoutsk (Russie), ont reproduit en chambre froide ce qu’ils observaient sur le terrain, notamment en Yakoutie. Leur objectif : faire varier divers paramètres de manière indépendante pour mesurer l’impact de chacun d’eux – une expérience évidemment irréalisable sur le terrain. Les chercheurs ont donc construit des blocs de pergélisol d’une tonne sur lesquels ils ont testé, d’une part, l’impact de différentes températures extérieures et d’autre part, de la nature de l’hétérogénéité (insertion de coins de glace ou couches massives de glace).

Expérimentation en chambre froide du dégel d’un pergélisol de 2,5 m de large, sur 4 jours. La partie de gauche correspond à un sol gelé pauvre en glace (sol homogène, saturé en eau) et la partie de droite présente un sol gelé riche en glace (sol hétérogène saturé en eau, auquel on a ajouté des coins de glace verticaux). On observe que le sol riche en glace subit une forte érosion pendant la phase de dégel. © François Costard

Résultat : « Notre expérience montre que ce sont les coins de glace et les couches massives de glace qui accentuent le phénomène de dégradation, explique François Costard, géologue spécialiste du milieu Arctique et auteur principal de l’étude parue dans Geophysical Research Letters, le 7 décembre 2020. On est même allé jusqu’à un dégel artificiel complet du pergélisol pour voir ce que cela entraînait. On s’est rendu compte que l’excédent d’eau, provoqué par la fonte des coins et des couches massives de glace, venaient alimenter le sol gelé et provoquer des affaissements de terrain. Un peu comme un château de sable sur une plage que vous aspergez d'eau avant que tout s'effondre sur place, sous vos yeux ».

Un phénomène qui a surpris le scientifique : « Je m’attendais à ce qu’un pergélisol avec une forte quantité de glace puisse résister bien plus longtemps, tout simplement parce qu’un sol contenant plus de glace met plus de temps à fondre qu’un sol pauvre en glace. Mais la réalité, c’est que les affaissements de terrain les plus spectaculaires se produisent dans des terrains qui sont très hétérogènes. Les blocs de glace, insérés dans ces sols, les rendent bien plus fragiles. Ils favorisent la pénétration de l’air chaud de l’été dans les interstices de ce sol en voie de dégradation et accentuent les glissements de terrain ».

De plus en plus nombreux, ces glissements de terrain ne sont malheureusement pas près de s’arrêter, car un autre phénomène mis en évidence depuis plusieurs années accentue le réchauffement climatique, souligne enfin le géologue : « Le dégel du pergélisol s’accompagne de la libération de la matière organique contenue dans la glace. Et celle-ci, en se décomposant, crée encore plus de gaz à effet de serre ».