En moyenne montagne, le retour dévastateur des campagnols
Publié le - par LeBlob avec l'AFP
« Ici, il n'y a plus rien à manger, c'est fini ! » : de vastes étendues de terre marron, poussiéreuses, ont remplacé les prairies verdoyantes de Philippe Rodier, éleveur à Gourdièges (Cantal), témoignant du passage dévastateur des campagnols terrestres.
« Rien ne repousse ! 50 % de mes terres sont ravagées ; il ne reste rien. Les autres sont aussi touchées, même s'il reste un peu d'herbe », se désole le propriétaire de 130 vaches allaitantes, désemparé face à l'invasion du rat taupier, l'autre nom du campagnol.
Ce petit rongeur d'une vingtaine de centimètres, qui pèse entre 100 et 300 grammes, mange chaque jour son poids en racines, en creusant des galeries dans le sol, transformé en gruyère, et en laissant sur son passage de petites mottes. L'herbe se raréfie, puis disparaît progressivement, jusqu'à ce que la terre recouvre totalement les pâtures.
L'animal se reproduit très rapidement, avec une portée de quatre à huit petits par femelle tous les 21 jours. « On en compte jusqu'à 1000 par hectare », assure l'éleveur en montrant la dizaine de cadavres de rats piégés dans la matinée.
À Gourdièges, petite commune d'une soixantaine d'habitants, dominée par le Plomb du Cantal encore enneigé en ce début mars, l'élevage de montagne constitue l'activité principale. Pas une ferme n'est épargnée par les campagnols, selon le maire Bernard Coudy, 69 ans, lui-même ancien éleveur.
Résultat : dans cette zone de moyenne montagne, où la saison d'hivernage dure entre quatre à cinq mois, les éleveurs sont contraints d'acheter du fourrage pour nourrir leurs bêtes, ce qui grève un peu plus une trésorerie déjà tendue.
Pire, les vaches « ingèrent de la terre avec l'herbe qu'elles broutent, ce qui n'est pas très bon pour leur panse », dit-il.
Les sécheresses successives n'ont rien arrangé en amplifiant les dégâts du rongeur, qui pullule par cycles, espacés d'environ cinq ans.
« C'est une combinaison de différents facteurs, et la régulation du campagnol dépend à la fois des ressources et des prédateurs » comme le renard, qui est victime de la chasse, explique Yves Michelin, agronome à Lempdes (Puy-de-Dôme).
Les régions du Massif central, du Cézallier au Sancy, ainsi que les plateaux du Jura sont particulièrement touchés, et dans une moindre mesure une partie des Alpes et des Pyrénées, selon lui.
La présence du rongeur est très problématique dans le Mézenc, en Haute-Loire, où les vaches servant à la production du « fin gras » - viande persillée AOP commercialisée de février à juin - doivent être nourries à partir de prairies naturelles.
« On est en plein pic, mes parcelles sont pleines de mottes », peste Raymond Devidal, éleveur à Fay-sur-Ligon (Haute-Loire) qui dit avoir dépensé 45000 euros en fourrage pour nourrir ses 140 vaches laitières à cause des campagnols, réservant le foin récolté à sa cinquantaine de génisses produisant du fin gras.
Depuis l'interdiction fin 2020 de la Bromadiolone, un anticoagulant utilisé contre les campagnols, les espoirs des agriculteurs se tournent vers un autre produit à base de phosphure de zinc.
Mais « c'est une lutte qu'il faut arriver à mécaniser parce que trou par trou, ce n'est pas possible. C'est extrêmement gourmand en moyens humains », explique Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, lui-même éleveur dans le Cantal.
L'usage de ces produits doit en outre rester exceptionnel, met en garde Yves Michelin.
La lutte doit être collective, organisée et surtout réalisée en amont : « il faut identifier les foyers le plus tôt possible », détaille-t-il.
Et de citer l'exemple de l'impluvium de Volvic (Puy-de-Dôme), vaste zone protégée où s'infiltrent les pluies qui alimentent le gisement de la célèbre eau minérale : « un système d'alerte et de contrôle de la population de campagnols à l'aide d'un piégeur a été mis en place à partir de 2015 », ce qui a permis, selon lui, d'endiguer la pullulation.