En septembre, la planète a remis son bilan santé : le Planetary Health Check. Et sa conclusion, elle était partout : une nouvelle limite planétaire vient d’être franchie. Ces limites, ce sont des seuils critiques. Et chaque fois que l’un d’eux est dépassé, le risque de déstabiliser les écosystèmes planétaires augmente. Mais pour savoir ce que vaut vraiment ce diagnostic, nous avons remis le rapport à Sophie Godin Beekmann, directrice de l’Institut Pierre-Simon Laplace.
- On se rapproche de conditions dangereuses pour un certain nombre de problématiques environnementales. Une nouvelle limite a été franchie, qui est celle de l'acidification des océans. Et les autres limites entrent dans des zones de plus en plus dangereuses pour l'humanité et les différents écosystèmes de la Terre. Depuis 2009, les scientifiques distinguent 9 limites planétaires, 9 processus essentiels à notre “système Terre”. Ils sont traduits en un code couleur. Vert, l’espace de vie reste sûr. Dans le jaune, le seuil est franchi. Il marque une zone d’incertitude et un risque accru pour l’humanité. Le rouge, c’est la zone de haut risque, avec des changements potentiellement irréversibles pour le vivant. Bon aujourd’hui, voilà où nous en sommes : Le changement climatique, dans le rouge. Même constat pour l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles géochimiques et l’introduction de nouvelles entités dans la biosphère. En zone incertaine : le changement d’usage des sols. Idem pour l’utilisation et le cycle de l’eau douce. Et dernière en date : l’acidification des océans, dont le seuil vient, lui aussi d’être franchi. Résultat, seules deux limites restent au vert : L’appauvrissement de la couche d’ozone et l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère
- Effectivement, on les voit en vert dans le rapport, c’est lié au fait qu’il y a eu des réglementations qui ont été mises en place, qui ont permis d’agir sur ces problématiques. Dans le cas de la couche d'ozone, on a mis en place le protocole de Montréal, qui a permis d’éliminer les gaz qui mettaient en danger cette couche d’ozone et qui ont fait que, finalement, sa destruction a été stoppée et maintenant on assiste à la lente reconstitution de la couche d’ozone. Dans le cas des aérosols, effectivement, il y a des réglementations qui ont été mises en place surtout en Europe, aux Etats Unis, dans les pays développés, pour diminuer ces aérosols dans l'atmosphère, au niveau de la surface, qu’on appelle aussi les problématiques de qualité de l’air et les problématiques de pics de pollution qui causent des problèmes de santé importants. Ces deux succès montrent, qu’avec des réglementations, il est parfois possible d’inverser la tendance. Mais, sur 9 limites planétaires, seules 2 sont au vert. Un score qui reste faible et un bilan plus que préoccupant. Mais peut-on mesurer l’état de la planète comme on prend sa température ? Et que signifie vraiment ce diagnostic ?
- Ces limites agrègent beaucoup d’éléments ensemble. Par exemple, il y a la limite qui concerne l’introduction de nouvelles entités qui sont assez disparates finalement. En fait, on voit que ça correspond par exemple à l’introduction d'organismes génétiquement modifiés ou des plastiques. Donc arriver à trouver un seuil unique pour ces différentes problématiques environnementales, c’est finalement assez compliqué. Il faut voir aussi les effets contre productifs par rapport à d’autres problématiques. Et c’est là où se pose le problème de la notion de limite planétaire. C'est-à-dire qu’on a l’impression que c'est des réflexions en silo. C'est-à-dire qu’il y a des limites, on va agir sur une limite, et puis il n'y a pas forcément de lien entre les différentes problématiques. Or, tout est lié en fait. On se rend compte par exemple qu’il y a un lien entre la destruction de l’ozone et le changement climatique, parce que l’ozone est aussi un gaz climatique. Et donc, cette notion de limite planétaire, c’est une notion pédagogique, c’est une notion pour montrer qu’on met en danger les conditions de vie sur Terre. On met en danger la possibilité des écosystèmes d’avoir une résilience par rapport aux différentes agressions qui sont faites par les activités humaines, mais on ne prend pas en compte les liens entre toutes les problématiques. Le fait de couvrir par exemple, un pays de panneaux photovoltaïques eh bien ça a un impact aussi sur la biodiversité. Donc il faut toujours réfléchir de façon globale et pas seulement en essayant d’agir sur une limite planétaire. Ces limites posent surtout une question, peut-être même la plus importante de toutes : jusqu’où ces dépassements sont-ils rattrapables ? Autrement dit : la question de l’irréversibilité. Aujourd’hui, c’est une notion que les chercheurs ré-évaluent en urgence.
- C’est vrai qu’il y a un côté un peu de surenchère et surtout, ce qui est un peu délétère actuellement, c’est qu’on se rend compte que finalement les gens n’agissent pas. On a beaucoup de rapports, beaucoup d’alertes, et puis d’un point de vue politique, il n’y a pas eu tellement d’actions. Donc on se rend compte que maintenant, il y a de plus en plus d'événements extrêmes, il y a de plus en plus de vagues de chaleur, on se rend compte que tous les coraux au niveau de la planète sont en danger. Et donc, la notion d'irréversibilité, ce qu’on appelle les “points de bascule”, c’est quelque chose qui est travaillé actuellement pour essayer de mieux préciser ces notions. Pour dire, est-ce qu’on a bien tous les éléments pour voir à partir de quel moment un système est irréversible. Pour l’instant on n’a pas de réponse complète parce qu’il y a beaucoup d’effets cascade. Mais c’est vrai qu’il peut y avoir, on a vu par le passé que par exemple, le Sahara était vert à un moment donné, il y a des milliers d’années, et maintenant c’est un désert. Donc c’est vrai qu’il peut y avoir des questions d'irréversibilité, il faut faire très attention, de façon à ce qu’on puisse, justement en agissant, avoir la possibilité de revenir en arrière.