Fessenheim : la doyenne des centrales nucléaires françaises définitivement débranchée
Publié le - par le blob avec l’AFP
Fessenheim, la doyenne des centrales nucléaires françaises, ne produira plus d’électricité : le second réacteur a été débranché du réseau électrique national lundi soir à 23 heures, un crépuscule célébré comme une victoire par les antinucléaire mais vécu comme un crève-cœur par les salariés et les habitants. Peu avant l’heure, une vingtaine de salariés s’étaient donné rendez-vous sur le parking devant la centrale, mise en service en 1977, pour être présents au moment de son arrêt définitif. L’occasion d’émouvantes photos de groupe devant les portes de l’enceinte.
Philippe Formery regrette un « gâchis », évoque sa « rage », avec les larmes qui lui montent aux yeux. Il faisait partie de l’équipe qui a débranché le premier réacteur le 22 février. « Avant, c’était vraiment de la colère, maintenant c’est de la tristesse », abonde Sébastien Reyne, qui travaille à la centrale depuis 1996 et fait partie de l’équipe de 60 personnes qui s’occupera du démantèlement. « J’avais besoin de venir, de vivre ces derniers moments » entre collègues.
Sur la clôture de l’enceinte sont toujours accrochées des banderoles de protestation contre la fermeture, clamant « Fessenheim la sacrifiée ! » ou « La fermeture anticipée est une faute historique ». Des défenseurs de l’énergie nucléaire ont également manifesté à Paris en début de soirée devant le siège de Greenpeace.
La fermeture de la centrale de Fessenheim, installée en bordure du Rhin, près de l’Allemagne et de la Suisse, intervient comme un point final après des années de remous, de débats et de reports de son arrêt. Ses deux réacteurs à eau pressurisée d’une puissance de 900 mégawatts (MW) chacun produisaient en moyenne 11 milliards de kilowattheures (kWh) chaque année, soit 70 % de la consommation d’électricité d’une région comme l’Alsace.
Une étape, pas un aboutissement
Plus tôt dans l’après-midi, des antinucléaire ont quant à eux organisé une sortie sur un bateau naviguant sur le Rhin, à la frontière entre la France et l’Allemagne. Un lieu « symbole de l’amitié franco-allemande dans la lutte contre les centrales nucléaires », selon André Hatz, président de Stop Fessenheim. « C’est enfin la fermeture de cette centrale qu’on attendait depuis si longtemps. Pour autant on a un peu le triomphe sobre parce que c’est une étape, il y a encore 56 autres réacteurs à fermer. Il faut continuer à se battre », a déclaré Charlotte Mijeon, porte-parole de Sortir du Nucléaire.
Ayant décidé de ne pas se rendre à Fessenheim même, pour « ne pas faire de la provocation », une centaine de militants antinucléaire français et allemands se sont ensuite rejoints en fin d’après-midi sur un pont surplombant le Rhin, exactement à la frontière. Ils ont jeté dans le fleuve une bouée remplie de paillettes dorées, symbole de l’énergie nucléaire jetée à l’eau.
« Nous y sommes arrivés, le deuxième réacteur de Fessenheim ferme aujourd’hui, c’est l’aboutissement de 50 ans de lutte commune entre Français et Allemands pour protéger notre cadre de vie », a déclaré au porte voix Suzie Rousselot de Stop Fessenheim, sous les applaudissements.
Le démantèlement de la centrale s’annonce à présent très long : 15 ans sont prévus pour démonter les deux réacteurs, à commencer par l’évacuation du combustible hautement radioactif, qui s’achèvera au mieux en 2023. Le démantèlement proprement dit, inédit en France à cette échelle, devrait débuter à l’horizon 2025 et durer au moins jusqu’en 2040.
Trou d’air économique
Victoire pour les antinucléaires français, allemands et suisses, cette fermeture suscite au contraire la colère des salariés de la centrale et de la plupart des 2 500 habitants de la commune. Seuls soixante salariés EDF conduiront son démantèlement vers 2024. Fin 2017, ils étaient encore 750, ainsi que 300 prestataires.
Quant aux habitants de ce village autrefois modeste, ils ont vécu pendant des décennies grâce aux importantes retombées économiques et fiscales de cette installation et craignent un grand trou d’air économique : aucun projet n’est officiellement arrêté pour l’après-Fessenheim. Fermer la centrale, alors qu’elle « est en bon état de marche et a passé tous les tests de sécurité, est absurde et incompréhensible », regrette ainsi le maire Claude Brender.