La Patagonie se soulève rapidement en raison de la fonte des glaces
Publié le - par Évrard-Ouicem Eljaouhari
La Patagonie se soulève ! Et vite : d’une hauteur de 4 centimètres par an ! Si la croûte continentale sous-jacente à l’Amérique du Sud se soulève, c’est parce qu’elle se retrouve libérée du poids des immenses champs de glace qui la recouvrent et qui fondent. N’étant plus courbée par les massifs glaciers, elle se redresse : c’est ce que l’on appelle « l’ajustement isostatique ». Ce phénomène est attendu et a été observé à d’autres endroits sur la planète. Mais nulle part le rebond n’est aussi rapide qu’en Patagonie. À ce rythme-là, le redressement pourrait s’effectuer sur quelques dizaines d’années seulement, contre des milliers d’années pour le Groenland et le Canada. Pour comprendre ce phénomène, détour par quelques lieux sous Terre.
Sonder l’invisible
Géophysicienne, Hannah Mark est la première autrice de l’étude parue dans Geophysicial Research Letters expliquant comment la structure du sous-sol terrestre sous les champs de glace affecte la vitesse de l’ajustement isostatique : « Pour expliquer la vitesse du rebond, il était primordial de connaître l’agencement des plaques qui sous-tendent les champs de glace de Patagonie ».
Ces glaciers reposent sur l’une des premières couches qui forment la structure interne de la Terre : la croûte continentale, qui elle-même repose sur le manteau lithosphérique (la partie la plus superficielle du manteau supérieur). L’ensemble des deux forme la plaque continentale. C’est l’agencement de ces plaques qu’Hannah Mark et ses collègues ont voulu observer. Mais pas question d’un observation directe : les plaques sont trop épaisses et trop rigides.
L’agencement peut cependant être inféré grâce aux ondes sismiques. « Ce sont des mouvements vibratoires qui se propagent dans la Terre. Leur vitesse dépend de nombreux facteurs comme la composition du milieu, la température ou la pression. » Les chercheurs ont donc enregistré les données sismiques à travers les champs de glace de Patagonie pendant plusieurs mois. « Ces enregistrements nous ont permis de déduire la viscosité du manteau terrestre dans ces zones et de mettre en évidence la présence d’une fenêtre asthénosphérique ». Autrement dit, ce qu’Hannah Mark et ses collaborateurs ont montré, c’est que là où, en-dessous des champs de glace, la plaque océanique s’est incurvée sous la plaque continentale, il y a une ouverture, appelée « fenêtre asthénosphérique », environ 100 km sous la Patagonie.
Les couches supérieures de la Terre n’étant pas totalement fixes, il se peut que la plaque océanique se rapproche suffisamment de la plaque continentale pour plonger dessous, jusque dans l’asthénosphère. Or l’asthénosphère est beaucoup moins rigide que le manteau lithosphérique sous lequel elle se situe. Le matériau de l’asthénosphère peut donc remonter à travers cette ouverture jusque sous la lithosphère continentale, environ 40 kilomètres sous la surface. « Ce matériau qui vient de l’asthénosphère est plus chaud, mais est surtout moins visqueux ». Le matériel plus ductile du manteau asthénosphérique s’est donc fait une place sous la lithosphère continentale. Et c’est sa viscosité, plus faible que celle que l’on trouve normalement dans ces zones, qui est responsable du rebond rapide de la plaque sur laquelle reposent les champs de glaces patagoniens.
« Durant le processus d’ajustement isostatique, quand la glace fond et que la plaque se redresse, le manteau sous-jacent doit aussi bouger, explique Hannah Mark. Il ne peut pas y avoir de vide sous la plaque. Donc, l’un des facteurs qui contrôlent la vitesse du rebond est la vitesse à laquelle l’asthénosphère est capable de s’écouler. Si la viscosité est faible, le manteau peut s’écouler plus facilement et répondre plus rapidement aux changements de la masse de glace en surface ».
Les résultats obtenus par Hannah Mark et ses collègues permettent également d’expliquer pourquoi le taux de soulèvement varie entre le nord et le sud des champs de glace. Leurs résultats montrent que la viscosité est plus grande sous la partie la plus au nord du champ de glace Sud et sous le champ de glace Nord, là où le soulèvement est le moins rapide. « Une des possibilités expliquant cette différence de viscosité est qu’elle est le reflet d’une évolution temporelle de la fenêtre asthénosphérique ».
Cet espace entre les plaques aurait commencé à se former il y a de ça 18 millions d’années. Durant cette très longue période, la dynamique du manteau associé à la fenêtre asthénosphérique a pu être plus intense par moments. « Une autre possibilité est que la lithosphère sud-américaine était dès le début plus épaisse et plus froide dans le sud, et donc moins fortement affectée par la fenêtre asthénosphérique lorsqu’elle s’est ouverte ».
« Crucial pour prévoir le futur de ces communautés »
Les champs de glace sont de vastes zones de glaciers interconnectés, installés sur des montagnes ou des plateaux. À eux deux, les champs de glace de Patagonie Nord et Sud recouvrent une partie de la cordillère des Andes, de l’Argentine au Chili. Ils forment le troisième plus grand ensemble glacier au monde après l’Antarctique et le Groenland. Ces champs de glaces patagoniens sont ceux qui fondent le plus rapidement au monde : ils représentent à eux seuls plus de 80 % de la perte totale de masse de glace en Amérique du Sud.
Or les Andes australes connaissent chaque année de plus en plus de journées chaudes. La zone a vu également les chutes de neige diminuer et les pluies augmenter. Les champs de glace fondent donc plus à la surface et n’accumulent plus suffisamment de neige pour remplacer la neige fondue. Tout cela a été relié à l’existence d’une atmosphère plus chaude et à des températures de l’air plus élevées. Cette fonte serait donc pour partie d’origine anthropique et pourrait s’accélérer dans les années à venir. Or, même si la contribution des champs de glace de Patagonie est modeste en volume, elle contribue à l’élévation globale du niveau des mers. « De manière indirecte, nos résultats pourraient aider à affiner les prédictions sur la montée des eaux », précise Hannah Mark. Des centaines de millions de personnes vivent sur des zones côtières. Modéliser la montée des eaux est crucial pour ces communautés.